La vie parisienne dans le genre poissard
La vie parisienne dans le genre poissard: en tournant autour de marchander, se bagarrer, intriguer et draguer
Rédigé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le genre poissard cherchait avant tout à mettre en avant la vie populaire parisienne. Malgré son côté déformant, c’est un formidable moyen d’interroger cette vie d’alors. Pour ce faire, reprenons quelques passages issus de plusieurs œuvres de ce genre.
Tout d’abord, les textes du genre poissard étaient souvent comme des scénettes, revenant sur des aventures. Elles mettaient en avant souvent des poissardes, ces vendeuses de rue.
Marché et rue : tout est bon pour marchander
Qui dit poissard, dit vendeur de rue. Alors bien sûr, ce sont les ruelles des halles et des marchés qui sont d’abord mis en avant.
Dans le Bouquet poissard, Jean Joseph Vadé met en avant un homme qui va chercher à acheter des fleurs au marché. Mais manifestement, ce geste qui nous semblerait simple ne l’ai pas tant que ça.
Dans la première partie de l’oeuvre, il relate une première difficulté avec une marchande de rue. Il se laisse séduire par un de ses bouquets et le paie en avance. Mais, au moment où elle le réalisait, voici que viennent les dames jurés de ce métier. Alors, elles se mettent à inspecter tous les bouquets de la fleuriste. Tant et si bien qu’elles confisquent toutes les pièces. La marchande ne se laisse pas faire et commence à leur donner des coups. Toutefois, cela ne suffit pas et elle fuit. Notre pauvre homme face à ce spectacle tente de récupérer son bouquet. Toutefois, pour le lui donner, les dames jurés veulent lui font payer une seconde fois…
Dans la seconde partie de cette même oeuvre, notre homme à la recherche de fleurs se voient impressionné par l’afflux de marchandes. Chacune essayant de lui montrer ce qu’elles peuvent lui vendre. Toutefois, les méthodes étaient quelques peu agressives. En effet, s’il ne répondait pas vite, il se faisait vite remuer dans tous les sens du terme par les aspirantes vendeuses.
Louis de Tilloy, dit l’Ecluse, était un contemporain de Jean Joseph Vadé. Lui aussi auteur du genre poissard, il écrivit le Déjeuner de la Rapée ou le Discours de Halles et des ports. Dans une des scènes du récit, l’héroïne se rend au cimetière de Saint Jean en Grève. Elle s’y rendait pour marchander et se disputer avec les vendeuses des lieux.
L’Ecluse raconte qu’au cimetière Saint Jean, d’abord, elle s’attaqua à la “Nannette Dupuy, l’une des plus fortes gueules de cette engeance grossière, en lui marchandant douze merlans“. Elle lui proposa un petit prix et en réponse, elle se fit insulter. En effet, quand le prix n’allait pas, il fallait chercher à prendre le dessus sur l’autre. L’insulte était utilisée tout le temps pour impressionner. Cependant, notre héroïne ne laissa pas faire. Elle partit ensuite en l’abreuvant de “Adieu, Margot la profiteuse, infectée gueuse à crapaut : garde ton poisson, il est pourri.”
Elle passa ensuite à la vendeuse à proximité. Un homme l’accompagnait et était désigné comme le marquis. Il “prit le ton badin” avec cette vendeuse qui lui plaisait. Alors, il lança ses “merlans étaient courts“. Il sesuit un curieux échange entre l’homme et la vendeuse. En effet, notre homme indiqua que les merlans étaient plus petits que son sexe. De son côté, elle se laissa prendre au jeu. C’est alors qu’il lui lança le pari de vérifier, contre la somme de 6 louis. Notre marchande accepta. Aussitôt, il le lui montra. C’est ainsi qu’elle lui proposa de lui donner 6 merlans. Cependant, tout content, il partit en laissant les poissons.
La nourriture se négociait. Ainsi, dans les Etrennes aux riboteurs par L’Ecluse, la Margot la mal peignée vendait ses oranges. Elle était désignée comme la reine de la Halle.
“Combien ? Six sous pour vous ? C’est trop !” Quand l’acheteur donne un prix, elle se tourne vers sa voisine si elle a des orange à ce prix là. “Où demeurez vous, monsieu ? J’vais vous les envoyer par le cousin d’mon chien.“
Enfin, tout se négocie ! Y compris les meubles. C’est ainsi que dans le troisième chant de la Pipe Cassé de Vadé, on retrouve deux femmes sur le pont Saint Michel. Là, elles négocient avec des vendeurs de quoi compléter leur ameublement.
Et tout est bon pour se bagarrer
Marchander et bagarrer, voilà le lot quotidien de beaucoup de parisiens alors. Par nécessité pour vivre pour bien sûr, mais aussi par amusement.
Ainsi, dans la quatrième partie du Bouquet poissard de Vadé, nous retrouvons notre amoureux qui voulait des fleurs. Sur le chemin, une femme l’approche : “Monsieur, monsieu […] prenez c’t’orange-là, gni’ en a pas dans le marché d’plus mieux.” Après lui avoir donné 20 sous, il découvre que l’orange est plantée avec une allumette. Il veut aussitôt la lui rendre, mais elle devient agressive. C’est ainsi qu’il découvre que lui répondre devient dangereux. En effet, aussi vite, elle attire d’autres vendeuses et elles se mettent à le poursuivre dans la rue.
Dans les Etrennes aux riboteurs, Margot la mal peignée croise un femme. Manifestement, cette dernière avait auprès d’elle quelques créances. Elle lui lance alors : “Et mes trois yards, quand m’les bailleras tu ? Quand les poules marcheront sur des béquilles.” La suite se poursuit en bataille.
Enfin dans le Bouquet poissard de Vadé, notre visiteur se rend une nouvelle fois à la halle aux fleurs. Après avoir acheté son bouquet, il croise sur son chemin, deux femmes se battant pour un panier de cerises. Ce spectacle l’amuse et il s’arrête pour les regarder se battre. Elles s’invectivent et il se met à rire à pleine bouche. Alors elles se regroupent contre lui et commencent à lui prendre par la force ses fleurs. Elles l’emmènent ensuite chez un marchand de vin pour qu’il leur paie des verres. Ce n’est qu’ensuite qu’il parvint à fuir.
Les guinguettes et restaurants
Au XVIIIe siècle, les guinguettes des barrières et les restaurants de la ville accueillent de nombreux parisiens.
Ainsi, dans la Pipe Cassée, Vadé présente ses protagonistes dans un restaurant. Jean Louis, Jérôme et la Tulipe sont alors chez la veuve Rabavin. Là, ils partagent le couvert de nombreux forts du port aux blé. C’est ainsi que pendant qu’ils buvaient, voici qu’une femme entre en trombe dans le restaurant. Faisant scandale, elle invective son mari Jean Louis qui tente de la calmer. En vain. Cela se transforme en pugilat et en grande bataille.
Dans le second chant, nos protagonistes sont à la Courtille. Ils profitent des joies d’une guinguette. Après avoir partagé un beau poulet, ils se mettent à se battre, comme souvent. Mais rapidement, ils se laissent entraîner par la musique et le bal de la guinguette.
Dans le déjeuner de la Rapée, l’Ecluse indique que son héroïne se rend dans un restaurant près de la Rapée.
En entrant, elle entend des mariniers “chanter à tour de mâchoires“. Elle s’approcha pour les entendre chanter. mais ils firent une pause pour boire. lorsqu’elle allait partir, elle entendit l’un d’eux demander à son voisin, Nicolas du tabac. Nicolas raconta alors comment il avait eu son bien. En effet, dans les restaurants, les convives se racontaient des anecdotes de leur vie de labeur. C’est ainsi, que le certain Nicolas raconta qu’il transportait des hommes pour les faire traverser la Seine. Une fois, il fit monter dans son bateau des docteurs de la Sorbonne et le père Honoré, ministre. Il en profita alors pour demander à ce dernier s’ils voulaient augmenter les impôts sur les bateaux. Toutefois la réponse ne fut pas assez clair pour lui et indiqua qu’il n’était pas “dans la vocation du parlementage”.
Notre marinier indiqua également qu’à un autre moment, il transporta une demoiselle d’Opéra avec deux hommes. Sauf que sur le chemin, il ne cessa pas de la regarder, si bien qu’elle lui dit : “Prends garde, de nous couler à fond en t’amusant à nous r’garder.”
L’intrigue amoureuse
Voici également une activité qui revient souvent dans le genre poissard : l’intrigue et la drague.
Commençons par une chanson poissarde : Dialogue entre mademoiselle Manon et monsieur Thomas de l’Ecluse. C’est d’abord à Manon de se lancer, en disant à Thomas que ca ne se fait pas de la “r’luquer” comme ça et bien inutile : “j’ons refusé d’épouser deux savetiers, trois porteurs d’eau, quatre écayers. Ca fait pourtant des gens de métier.“
Thomas ne se laisse pas faire et lui indique que sa motivation est de l’épouser. Alors, il commence à expliquer son métier : “j’sommes marchand de loterie, j’ons du débit ; quand je serons votre mari, je distribuerons dans Paris le gros lot à grands et petits.“
Poursuivons ensuite avec la Déclaration d’amour entre monsieur Dubois, marchand d’allumettes et mademoiselle Perrette, faiseuse de rabat. Ici, encore, la demoiselle ouvre le texte : “De bonne fois, m’aimes tu?” Sa réponse est éloquente : “Oui, assurément : je t’aime comme des filoux aiment la bourse.” Ils continuent ensuite les comparaisons : “comme les vieillards aiment l’argent“, “comme les maîtres à danser aiment les beaux habits“, “comme les libraires aiment les acteurs qui ne demandent rien“…
Après l’intrigue, vient la complainte. Voici la Complainte d’une ravaudeuse à son amant par l’Ecluse. “Dans les gardes françaises, j’avais un amoureux, Fringant, chaud comme braise, jeune, beau, vigoureux […] pour une Perronnelle le gueux m’a planté là.”
Elle poursuit avec tous les avantages qu’il avait avec elle : “Il avait la semaine deux fois du linge blanc, et comme capitaine, la toquante d’argent, le fin bas d’écarlate, à côté de melon, et toujours de ma patte, frisé comme un bichon.”
La suite est aussi intéressante : “la nuit, quand je sommeille, je pense à mon coquin ; mais le plaisir m’éveille tenant mon traversin : la chance est bien tournée ; A présent c’est Catin qui suce la dragée ; et moi le chicotin.”
Continuons avec la chanson grivoise d’un amant à sa maîtresse.
“Margot, pisque t’es aimée, n’fais pas l’amour si longtemps ; tu risques à perdre ton temps, peut être ta renommée : quand le renom est perdu, notre vertu n’vaut pas un fétu”. La chanson continue : “Faut te marier à Pâques, sans attendre la Saint Jean ; le monde est trop méchant. T’as connu la fille à Jacques, Elle a fait tout comme toi ; et sur ma foi, elle s’en mord les doigts”. “Un garçon, sans la connaître, L’a d’mandée à ses parents ; On allait jeter les bancs ; tout était prêt jusqu’au prêtre ; mais elle, de jour en jour, retardait pour mieux faire l’amour.” La chanson raconte ensuite la rencontre avec un homme qui la séduit. “Son fréquenteur la desserre, vous l’y coupe son lacet ; il ly défit son corset ; mais le meilleur de l’affaire, c’est qu’après tout ce micmac, mon drôle, crac, vous remplit son sac“.
L’intrigue ne concerne pas toujours des jeunes amoureux. Ainsi, dans le Déjeuner de la Rapée par l’Ecluse, l’histoire démarre le dernier jour de Carnaval, lors du bal de l’Opéra. Un abbé s’approche de la narratrice et la complimente sur sa “gorge“. Elle le repousse mais il insiste. Elle se refuse en indiquant que son coeur est réservé à la Tulipe. Il continue “par ma foi, tu serais bien sotte ; Viens manger d’une matelotte ; Et boire un excellent vin, Avec un aimable blondin Qui m’attend au moulin d’Javelle.” Pour le faire fuir, elle le menace “ou j’te frise la moustache Avec le cul de mon chaudron, Chien d’perroquet de Montfaucon !”
Finissons avec une rupture : “Adieu donc, cher la Tulipe” “Buvons encor chopinette de ce tant doux bran-de-vin ; bois au tambour de Catin, je bois à ta Franchonnette : baisons-nous en godinette ; mon enfant, fiche-moi le camp.“