La Tour de la Belle Gabrielle d’Ermenonville
La Tour de la Belle Gabrielle d’Ermenonville : ode à l’amour, au cœur d’un jardin vantant la nature sublimée par JJ Rousseau
Aujourd’hui, nous vous proposons une balade dans le temps et le rêve de la nature sublimée. Ici, comme vous le verrez, les ombres de trois personnages s’entremêlent : Henri IV, Gabrielle d’Estrée et Jean Jacques Rousseau. Séparées dans le temps et l’espace ? Pas si simple !
En tout état de cause, quittons un peu le centre de la capitale, et destination Nord Est ! Nous nous arrêtons dans un jardin surprenant à 60 kilomètres où Jean Jacques Rousseau vécut ses dernières semaines. Il y fut même enterré, avant que ses cendres ne soient transférées au Panthéon. Son héritage est immense.
Trois ombres qui s’entremêlent
Gérard de Nerval avait passé son enfance dans le Valois. Profondément romantique, il avait bien sûr voulu mettre ses pieds dans les traces de Jean Jacques Rousseau à Ermenonville.
Un jour, au fil de ses promenades, il interrogea les paysans autour de son maître. La mort du philosophe en 1778 n’était pas si lointaine – nous sommes dans la première moitié du XIXe siècle. Elle avait fait venir un grand nombre de personnalités puissantes dans le lieu.
« – Oh ! On connaît bien son histoire, répondirent-ils. Dans cette tour, là, du château, vivait la belle Gabrielle d’Estrées, l’amie d’Henri IV. Tous les soirs, Rousseau venait jouer de la guitare sous ses fenêtres ! …Alors le roi, qui était jaloux, l’a fait mourir ! »
« Cette tour, là » il s’agissait bien sûr de la Tour de la Belle Gabrielle d’Ermenonville.
Pierre Mille que nous citons dans le Quotidien du 22 septembre 1929 poursuit :
« Entre Rousseau et Henri IV sans compter la belle Gabrielle, il y a près de trois siècles. Mais Gabrielle a vécu à Ermenonville. Henri IV y passa aussi, à cause de Gabrielle. Plus tard, beaucoup plus tard, le pauvre Jean-Jacques y termina l’une des plus agitées des carrières littéraires, recueilli par le marquis de Girardin. Et tout ça n’a aucun rapport !
Mais les paysans d’Ermenonville, dans les premières années du dix-neuvième siècle, étaient pour la plupart illettrés. Tout ce qu’ils savaient, ils le savaient uniquement par communication « de bouche à oreille ».
De père en fils, ils avaient entendu parler d’Henri IV et de Gabrielle.
Après quoi, ils avaient entendu parler — un peu avant la Révolution, et après — d’un certain Rousseau. »
L’ancien domaine de Sarrède
Du temps d’Henri IV, le domaine d’Ermenonville était la propriété de Dominique de Vic, gouverneur de Calais et seigneur des lieux. Ce très proche du roi avait été de ses campagnes et avait même perdu une jambe lors de la bataille d’Ivry. L’assassinat du prince entraîna la sienne. Deux jours après le meurtre, il s’était rendu dans la rue de la Ferronnerie, dans le lieu où Ravaillac planta son couteau dans le corps du roi. Il y eut une attaque et ne s’en remit pas.
Aussi, à Ermenonville, il était fréquent que le premier des rois Bourbons s’y rende… en compagnie de la belle Gabrielle. Gabrielle d’Estrée y avait une maison et on raconte que les deux amants déambulaient de temps en temps dans ce coin de nature.
Le jardin du marquis de Girardin
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le domaine appartenait alors le marquis René de Girardin. Grand lecteur de philosophie, il s’était pris de passion pour Montaigne et Jean-Jacques Rousseau. Comme ce dernier, il était partisan d’un retour à la nature et avait fait aménager son jardin dans ce sens. En effet, lorsqu’il s’y installe en 1766, le château conserve un aspect féodal. Pendant une dizaine années, il le transforma en totalité.
A cet effet, Girardin avait organisé différentes parties, en les dotant de petites constructions et d’espaces fascinants. La Tour de la Belle Gabrielle, qu’il fit construire de toutes pièces, en fait partie. En tout état de cause, elle ne vit jamais l’illustre favorite.
Toutefois, elle marqua son temps.
Jean Jacques Rousseau se rendit lui-même dans le domaine et y passa ses derniers jours. On l’enterra dans une petite île. Sa renommée fit venir un grand nombre de personnalités, dont notamment plusieurs têtes couronnées.
Marie Antoinette tomba sous son charme et s’en inspira pour son domaine de Trianon. La Tour de la Belle Gabrielle fut reprise pour le dessin de celle de Marlborough dans le hameau de la reine.
Promenade autour de la Tour de la Belle Gabrielle
Pour poursuivre notre description, nous nous plongeons dans le récit de la promenade dans les Jardins d’Ermenonville par un contemporain de son créateur : Stanislas Girardin.
« Le sentier vous mène, en tournant sur le bord de la grande rivière, que vous traversez dans un va-et-vient, vis-à-vis de la tour de Gabrielle ; mais, tandis que vous avancez, votre pensée vous ramène au bocage : c’est ainsi que le souvenir peut encore rendre heureux, lorsqu’on vient de cesser de l’être. »
La mode était au jardin anglais où on déambulait dans les espaces en se laissant surprendre par le lieu.
« Vous débarquez au pied de cette tour, à laquelle est appuyée une maison d’un genre plus moderne, qui parait devoir être celle du batelier. Cette fabrique est située sur le point le plus élevé d’une île, et présente, dans les différents aspects, des tableaux très agréables : son style, sa couleur, sa construction persuaderaient qu’elle existait effectivement au temps de la belle Gabrielle ; son élévation et ses accessoires la font paraître très considérable. Elle est jointe à une petite tour carrée, par une porte gothique, sur laquelle on lit :
En cette tour droit de péage,
La belle Gabrielle avait ;
C’est de tout temps qu’ici l’on doit
A la beauté foi et hommage. »
Les armes de Dominique de Vic, seigneur des lieux ornaient la proximité de la porte d’accès. La façade comportait un bas-relief représentant la bataille d’Ivry, flanquée d’une inscription : « c’est ici le trophée de Dominique de Vic dit Sarrède. Il eut la jambe emportée d’un boulet de bataille. Son amour pour Henri IV était si grand que passant par la rue de la Ferronnerie deux jours après la perte horrible de ce bon prince, il y fut saisi d’une telle douleur qu’il en tomba presque mort, sur la place même et en expira le lendemain. »
Une tour à l’ode à l’amour
Dans ce jardin vibrant pour le retour à la nature, la Tour de la Belle Gabrielle visait à chanter l’amour. Aussi, l’inscription du seigneur de Vic la met en avant :
« En ce bocage où ton laurier repose, sur le joli myrte d’amour, ton fidèle sujet dépose ses armes pour toi toujours. O mon cher, mon bien aimé maître ! J’ai déjà, sous ton étendart, perdu de mes membres le quart ; te voue ici mon restant être. Que si d’un pied marche trop lent pour toi, point ne défaudrai meilleure aide ; car pour combattre pour son roi, l’amour fera voler Sarrède. »
Stanislas Girardin poursuit :
« L’idée qu’on se forme de l’Antiquité de cette tour n’est point du tout détruite par le style de l’intérieur ; il répond parfaitement à celui du temps où elle est censée avoir été construite. »
La tour était sur une île !
« Il faut prendre le sentier qui se présente ; il passe au milieu d’arbres verts, d’espèces différentes, et se divise, à l’entrée d’une voute de lilas, en deux branches qui se réunissent au pont que l’on traverse pour sortir de l’île : elle est plantée d’arbustes mais on désirerait encore y trouver des fleurs de toutes espèces, dont les odeurs parfumeraient délicieusement l’air ; l’île de Gabrielle doit être le bosquet de l’amour »
Visite à l’intérieur de la tour
Laissons la parole au promeneur !
« On entre d’abord dans une cuisine gothique, voûtée et soutenue dans le milieu par un gros pilier sur lequel on a écrit ce couplet :
Sur l’air : « De la belle Gabrielle »
‘De ce bon Henri IV, vous voyez le séjour, lorsque las de combattre, il y faisait l’amour. Sa belle Gabrielle fut dans ces lieux et le souvenir d’elle nous rend heureux.’ »
Continuons la visite !
« La salle du passeur que vous traversez ensuite est meublée en natte ; l’escalier de bois qui est en dehors de la maison, vous mène dans la chambre du batelier ; elle communique au salon de la tour, décoré de six colonnes cannelées, soutenant une coupole. Au-dessus d’une des portes, on a mis un buste d’Henri IV, au-dessous duquel on lit : « Un roi qui aime est un Dieu sur la terre ».
Un petit escalier qui donne dans le salon vous fait parvenir sur la plate-forme du bâtiment, d’où vous découvrez un aspect magnifique et d’autant plus agréable, que la forme circulaire de la tour en augmente la variété, parce que votre œil ne peut embrasser qu’une petite partie du pays. »
Et une vue sur le domaine
En haut de la tour, c’est l’occasion de profiter du point de vue
« Vous apercevez tout le développement de la rivière qui serpente à travers les prairies : la vallée du midi est bornée par le château ; plus loin, vous voyez quelques maisons du village paraître à travers les arbres ; elles prennent pour fond la masse de la forêt : à l’est, vous retrouvez les hauteurs du désert, le lac qui vient baigner le pied des rochers de Jean Jacques ; c’est là que vous vous êtes arrêté pour regarder un joli tableau : c’est ici que vous avez passé : on jouit deux fois d’une promenade agréable, quand on revoit, d’un seul point, la plus grande partie du pays que l’on a parcouru.
Si vous reportez votre vue vers le nord, vous apercevez l’abbaye de Chaalis qui s’élève au milieu des bois et qui se détache sur des fonds vaporeux, dont la teinte bleuâtre se dégrade et s’unit avec celle du ciel ; vous découvrez aussi la côte fertile de Mont Epiloy, dont le village et la tour font un si bon effet de la terrasse du château.
A l’ouest, au pied des côtes sablonneuses, couronnées par le bois de Perte, on voit une vigne, au milieu de laquelle est construite, à côté du pressoir, une fabrique d’une jolie forme, sur le modèle d’un temple de Bacchus, qui subsiste encore dans les environs de Rome ; ce bâtiment est le logement du vigneron. »
Aujourd’hui, la Tour de la Belle Gabrielle a disparu, emporté par les transformations du XIXe siècle. Mais son héritage subsiste !
Sources bibliographiques :
- Girardin, Stanislas. Promenade ou Itinéraire des jardins d’Ermenonville. 1788.
- Les Annales Politiques et Littéraires du 20 septembre 1925
- Le Quotidien du 22 septembre 1929
- Illustration : Tour de la Belle Gabrielle extrait d’une promenade dans les Jardins d’Ermenonville – crédit BNF Gallica