Les ténèbres du boulevard Haussmann lors de la crue de 1910
Les ténèbres du boulevard Haussmann lors de la crue de 1910 : un terrible témoignage sur la vie des riverains
Grâce au Petit Parisien du 30 janvier 1910, nous avons la trace d’un témoignage de l’ambiance près de la gare Saint Lazare et plus précisément au boulevard Haussmann, lors des pires heures de la grande crue centennale ! C’était bien horrible la nuit !
Place au journaliste.
« Dans les ténèbres »
« Passeurs !… Hep ! Passeurs !… »
Tel est l’appel inattendu qui retentissait, hier, à de courts intervalles, boulevard Haussmann, devant la Chapelle expiatoire.
Sur la chaussée, transformée en canal, deux grandes barques, aux proue et poupe relevées en pointe, au vague aspect de caïque turque, voguent lentement… Derrière elles, une flamme fusante, ardente, d’un insoutenable éclat, découpe sur les maisons des silhouettes fantastiques, ombres chinoises démesurées, gigantesque d’arbres et de gens… Ce sont des bouées à acétylène que les esquifs remorquent, attachées à une ficelle et qui dansent sur ces flots boueux ».
De secours à la faible lueur
« Un pompier en casque étincelant, se tient à l’avant de l’une d’elles ; un agent cycliste, gaffe au poing, est debout à l’arrière de la seconde. Deux rameurs battent l’eau rythmiquement de leurs avirons.
A notre appel, la première embarcation vire de bord avec prudence et la voici qui vient vers nous…
Nous embarquons…
« De la lumière aux ténèbres »
Tout à coup un flot bourbeux, noirâtre vient avec de grosses bulles crevé la surface étale de l’eau… Une affreuse odeur se répand et le canot, repoussé par ce puant geyser jaillit du sol parisien penche de façon inquiétante.
Sinistre et lugubre est l’aspect de ce carrefour, où d’ordinaire, roule et roule joyeuse et trépidante, la seule marée des voitures, des automobilistes, d’une foule vivante, alerte, pressée, des gens qui se faufilent, s’effacent, courent à leurs affaires et à leurs plaisirs, de l’heure où chante l’alouette à l’heure où l’extincteur de becs de gaz passe taciturne et mélancolique…
… Il a passé l’extincteur… le géant aux multiples faces, informe et terrifiant Briarée aux millions de mains… Pas un bec de gaz… pas un lampadaire électrique pour éclairer cette désolation… C’est la nuit, la nuit pleine de rumeurs sourdes… l’eau est là, sournoise.
L’électricité éteinte, c’est Paris mort. Il semble que les petites lanternes à l’huile, posées sur les tas de sables encore à sec, servent à la veillée funèbre de la grande ville… »