Histoires de Paris

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Histoires d'art

La statue de la République d’Auguste Clésinger

La statue de la République d’Auguste Clésinger : représentation du nouveau régime pour l’Exposition de 1878 !

 

Quelques années avant l’édification de la grande Statue de la République, située sur la place du même nom, la volonté de faire représenter le nouveau régime était bien installée. En 1878, la République est solidement attachée, après quelques années de remise en cause.

Il était donc temps d’appuyer le sentiment républicain. Les statues sont vues alors comme un bon moyen pour y parvenir. Aussi, en 1878, une première statue de la République est installée dans Paris. Installée sur le Champ de Mars, elle fut l’œuvre d’Auguste Clésinger

 

Une statue réalisée pour l’Exposition universelle de 1878

Sous Napoléon III, les expositions universelles furent utilisées pour mettre en avant la grandeur de la France sous le régime impérial. Celle de 1867 avait en quelque sorte correspondu à une apogée du genre. Paris sortait alors de son vaste programme de transformation urbaine.

En 1878, la République se lance à son tour dans l’aventure des expositions universelles. Bien sûr, le temps de la magnificence n’est pas encore revenu après une décennie marquée par la défaite face à l’Allemagne, les troubles civils et les remises en cause.

Aussi, pour les gouvernants d’alors, représenter la République dans l’enceinte de l’exposition est important.

 

Le projet d’un ministre de l’agriculture et du commerce et d’un artiste renommé

Chose étonnante, c’est au ministre de l’agriculture et du commerce, Pierre Edmond Teisserenc de Bort que revint une telle initiative. Rappelons toutefois que c’est lui qui fut chargé de l’organisation de l’exposition. Il chercha ainsi les modalités de son financement et prononça le grand discours de son inauguration

Notre ministre reçut en début de l’année 1878, une proposition de la part d’un artiste très reconnu en France alors, Auguste Clésinger. Ce dernier était alors dans ses dernières années d’activité. De style romantique, il s’était illustré par la statue d’une Femme piquée par serpent, présenté lors du salon de 1847. Le scandale avait été grand dans la mesure où cette œuvre, conservée au Musée d’Orsay, donne davantage l’impression d’une femme connaissant un orgasme que celle piquée par un serpent.

 

Une inauguration en grande pompe

A l’occasion de la fête nationale, le 30 juin 1878, la statue de la République fut inaugurée. A cette date, le 14 juillet n’avait pas encore la place qu’il connut quelques années plus tard.

Ce fut en grande pompe, avec une large représentation du Gouvernement, mais aussi nombre de députés et de sénateurs, le conseil municipal que la statue fut présentée.

La foule avait répondu présente, malgré l’heure très matinale de la cérémonie. On avait dû recourir aux 131e régiment de ligne et le 6e bataillon de chasseurs à pieds pour organiser la sécurité et former la pique d’honneur.

La musique était, elle aussi, présente, afin de jouer tous les morceaux patriotiques de rigueur.

 

Description de l’œuvre

Laissons pour cette partie la Lanterne nous décrire le monument, dans son édition du 2 juillet 1878 :

« La statue de la République, œuvre de Clésinger, est placée sur le perron du palais du Champ de Mars, dans l’axe du pont d’Iéna et du Trocadéro.

La République est assise ; elle tient dans la main droite une épée ; elle s’appuie sur les tables de la loi où sont écrits ces mots : République française, Constitution du 23 février 1875.

Sur le socle de la statue sont peintes les lettres R.F. au milieu d’une couronne de lauriers. »

Le Petit Moniteur universel du 2 juillet 1878 complète, en précisant que l’œuvre était sur un grand perron en face du pont d’Iéna et du palais du Trocadéro :

« Le grand artiste l’a représentée coiffée d’un casque, assiste, tenant de la main droite un glaive ; la main gauche est appuyée sur des tablettes sur lesquels on lit : République française, Constitution du 25 février 1875.

Sur le socle, une couronne de laurier dans le fond de laquelle se détachent les deux lettres d’or : R.F. »

 

Le refus de la prise en charge par le Conseil municipal de Paris

Après avoir reçu la proposition de Clésinger, Pierre Edmond Teisserenc de Bort s’adressa au Conseil municipal de Paris pour disposer de sa contribution au financement en mars 1878.

Cependant, ce second, tout en étant d’accord avec le principe, préférait voir l’organisation d’un concours pour l’élaboration d’une telle statue. Alors bien sûr, le délai pour une statue à présenter dès l’Exposition de 1878 était trop court. Aussi, le ministre dut trouver une autre solution, qui arriva en retard par rapport à l’ouverture de l’Exposition. Pour faire passer la pilule, le Conseil municipal proposa de reprendre la Statue de Soitoux, réalisée en 1850… Mais cela ne correspondait pas au projet de Teisserenc de Bort et Clésinger.

On constate ici que sur le sujet de la représentation de la République, les choses étaient compliquées entre le gouvernement et le Conseil municipal de Paris. Ce dernier reprit quelques temps plus tard l’idée de son concours, aboutissant à la Statue de la République que nous connaissons aujourd’hui.

statue de la République d'Auguste Clésinger extrait du Monde illustré du 6 juillet 1878
statue de la République d’Auguste Clésinger extrait du Monde illustré du 6 juillet 1878 – crédit BNF Retonews

Sources bibliographiques :

Discours de M. Teisserenc de Bort le 30 juin 1878, ministre de l’agriculture et du commerce

“Nous vous avons convié aujourd’hui pour inaugurer la statue de la République.

Dans notre pensée, cette œuvre d’un de nos artistes éminents devait occuper sa place d’honneur le jour de l’ouverture de l’Exposition. Majestueusement assise à l’entrée de ce palais, elle devait symboliser la Patrie encourageant et protégeant par sa grande image les idées de liberté dans la concorde et la paix, l’union des peuples dans le travail, le progrès et l’amour de l’humanité.

En défilant à ses pieds, nous eussions affirmer par nos vivats notre foi dans son génie créateur et défenseur de tous les intérêts. Nous lui eussions confié nos espérances dans le succès maintenant acquis d’une Exposition qu’elle avait inspirée, qui était son œuvre et qui restera une de ses gloires dans l’avenir.

Des difficultés matérielles de diverses natures ont retardé jusqu’ici son installation. Nous l’avions vivement regretté. Nous ne nous en plaignons pas aujourd’hui, puisque nous pouvons l’associer à la grande fête nationale destinée à célébrer le succès de l’Exposition et à en perpétuer le souvenir.

Aujourd’hui donc, notre République appartient à cette grande fête et à son organisateur. Je demande à mon honorable collègue, M. le ministre de l’Intérieur, de bien vouloir inaugurer comme le point de départ de cette grande manifestation nationale.”

Discours de M. de Marcère, le 30 juin 1878, ministre de l’Intérieur

“Messieurs,

C’était une pensée digne des hommes éminents qui ont conçu le vaste plan de l’Exposition que d’y placer l’image de la Patrie. La voici sous la forme qui lui a donné un grand artiste et avec les attributs que nous désirions pour elle. Elle est noble et simple, calme et forte, elle est assise et reposée.

Bien souvent nos artistes, nos orateurs et nos poètes l’avaient dépeinte telle que les passions de leur temps la représentaient à chaque période de notre histoire. L’image changeait, l’âme est restée la même : l’âme de la France, dévorée de nobles désirs, amoureuse des belles choses, ardente à la justice et généreuse, parfois troublées pourtant et agitée par les idées et par les passions de la grande Révolution de 1789.

Mais aujourd’hui que la patrie est apaisée, la France voit ses aspirations à la justice bien près d’être satisfaites. Elle se comptait dans sa liberté.

Hier, en voyant passer sous les armes, ses nobles enfants, elle se contemplait dans sa force ; aujourd’hui, elle jouit de sa puissance féconde et sans orgueil, mais avec cette joie expansive qui lui sied si bien, elle se sent toujours digne d’elle-même et elle goute le bonheur de se voir revivre.

C’est qu’en effet, messieurs, nous pouvons le dire de nous, les temps sont accomplis. La société française, telle que l’a faite la Révolution a pris sa forme naturelle et elle s’y trouve bien, en dépit de quelques détracteurs, qui, en continuant un rôle ingrat, étonnent ce pays du bon sens et de la raillerie.

Est-ce à dire pourtant que depuis quatre-vingts ans la France n’ait jamais été grande par les œuvres, puissante par le génie des recherches et de la science et animée de grands desseins ? Non, sans doute. Le monde a eu d’autres manifestations de la vitalité et de la grandeur de notre pays. Mais, aux époques les plus brillantes de cette courte et dramatique histoire de près d’un siècle, il a manqué une chose dont les peuples ont surtout besoin. Il a manqué la quiétude que donne le sentiment de la durée et de la stabilité.

Chartes écrites, constitution, serments, énergiques efforts d’esprits supérieurs, et sincères, rien n’a pu donner la tranquillité à notre nation, tant qu’elle n’a pas eu la jouissance entière de ses droits qu’elle avait proclamée dans la déclaration de 1789. Rien ne pouvait lui rendre la paix tant qu’elle se déchirait elle-même et se refusait avec sorte de fureur domestique à un naturel accommodement.

Temps douloureux pendant lesquels l’impérieuse et droite logique du génie national, pliant les faits aux principes, suivant son chemin ; lutte funeste, fertile pourtant en sacrifice dont les générations qui en profitent doivent se souvenir ; désastre enfin où nous crûmes voir tomber la France, mais d’où elle se relève avec la volonté de mieux vivre et de jouir en paix d’institution qui l’honorent et qu’elle a si chèrement conquises.

Oui, messieurs, la République a pris possessions du sol même d’où elle est sortie. Jusqu’alors un parti avait seul soutenu sa cause. Aujourd’hui, après un long enfantement, et par une transformation lente, successive, rendue complète par mille causes, le parti est devenu nation. Ce n’est plus le temps où, comme au premier jour de la Révolution, sur cette place même où nous sommes, les Français, à qui l’enthousiasme du moment cachait les difficultés de la tache à peine entreprise, s’unirent pour un jour et se trouvèrent dès le lendemain, livrés aux divisions que les droits contestés, les passions soulevées et les intérêts fomentent. C’est vraiment cette fois, la fête de la Fédération que nous célébrons ici, car l’œuvre commencée par nos pères est finie. Plus de vaincus ni de combattants. La République française est comme les souverains : elle ne se souvient plus des blessures faites ni des injures reçues. Elle a confiance en son droit. Elle a retenu les grandes leçons de l’expérience ; elle a grandi par les épreuves ; elle est forte et clémente. Ailleurs, elle reprend sa place parmi les nations : chez elles, elle ne s’offre pas comme un modèle et toutefois, dans ce Paris qu’on ne peut s’empêcher d’admirer, soit que l’on considère ou ses arts, ou sa politique, ou son industrie, elle peut, non sans quelque fierté, montrer au monde l’état de sa civilisation.

La République, par la supériorité de ses principes, s’était emparée des esprits. C’est par les services qu’elle rend, c’est par la sagesse et l’esprit libéral qui l’animent, c’est par les adhésions presque générales des citoyens, qu’elle a conquis, depuis huit ans, le droit de régner. Ce droit, tant que la souveraineté nationale le maintiendra, nul ne saurait le contester.

Aussi, la nation – ca c’est elle qui gouverne – se prend-elle, par un instinct de conservation propre aux sociétés comme aux individus, à détester les divisions qui l’ont pendant si longtemps déchirée et qui pourraient de nouveau menacer sa sécurité.

La France ne comprendrait plus que l’on vécût sur le sol de la patrie en frères ennemis, parce qu’elle a la volonté que tous les droits et tous les intérêts soient respectés et défendus, et parce qu’elle sait qu’ils le sont.

Décidée à assurer à tous les citoyens les bienfaits de la liberté, laquelle protège tous les droits, elle demande à ses enfants la concorde et exige d’eux l’obéissance à ses lois. Elle sent, peu à peu, se fondre les désaccords anciens dans un sentiment de joie et de fierté qui depuis le premier jour de l’Exposition universelle remplit les cœurs. Elle s’en réjouit et se complait à donner à ses hôtes étrangers, qui viennent la visiter avec un abandon plein de courtoise confiance le spectacle de son union, de sa richesse et de sa brillante fécondité.

Voilà, messieurs, la République que nous servons avec un dévouement sans mérite pour des Français qui aiment leur pays.

En ce jour de fête vraiment national, groupés autour de notre drapeau, c’est elle dont nous saluons l’image en répétant du fond de l’âme, ce double cri : Vive la France ! Vive la République !”