Histoires de Paris

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Vies de fêtes

Le roi du carnaval : une figure de transgression dans les rues de Paris

Le roi du carnaval, figure centrale des festivités populaires, incarne un pouvoir temporaire et symbolique qui se déploie dans l’effervescence des rues de Paris, à l’occasion des célébrations carnavalesques. Cette figure, oscillant entre comédie et subversion, permet aux participants d’échapper aux normes sociales et politiques, en réaffirmant la primauté de la fête sur les contraintes du quotidien. Le carnaval de Paris, avec ses défilés, ses masques et ses costumes, a donné naissance à une tradition où le roi, en tant que maître de cérémonie, devient l’emblème d’une liberté temporaire, un renversement de l’ordre établi. Tout au long de l’histoire, cette figure a évolué, s’adaptant aux contextes sociaux et politiques tout en restant ancrée dans les rites ancestraux. Dans cet article, nous explorerons l’évolution du roi du carnaval à Paris, en partant de ses racines médiévales, en passant par ses transformations sous l’Ancien Régime, jusqu’à sa réinvention dans le Paris moderne et contemporain, où il demeure une figure de révolte et de plaisir collectif.

La naissance du roi du carnaval : une figure ancienne aux racines médiévales

Le carnaval, dans ses premières formes, est un moment où les hiérarchies sociales sont temporairement suspendues, et le roi du carnaval en est le principal protagoniste. Cette tradition trouve ses racines dans les fêtes anciennes, telles que les Saturnales romaines ou les fêtes païennes, où un renversement des rôles et des ordres établis avait lieu. À cette époque, l’événement carnavalesque permettait de libérer la parole et de défier les autorités, que ce soit le pouvoir religieux ou monarchique, dans une atmosphère de festin, de musique et de danse.

Au Moyen Âge, la figure du roi du carnaval émerge au sein des villes européennes, y compris Paris, où le personnage du “roi de l’année” ou “roi des fous” devient une personne élue pour régner symboliquement pendant la période carnavalesque. Le carnaval était un moment d’exubérance où les règles de bienséance étaient volontairement ignorées, et le roi, souvent un personnage marginal, était placé au centre de cette fête.

Les carnavals parisiens médiévaux étaient marqués par des processions où des personnages déguisés, incluant des membres du clergé et de la noblesse, prenaient part à des scènes de folie collective, qui mettaient en avant des éléments de satire sociale. Les populations pauvres ou marginalisées pouvaient ainsi jouer avec les codes sociaux et inverser les rôles, notamment à travers les festivités liées à l’élection de ce roi symbolique. En ce sens, le roi du carnaval n’était pas un monarque régnant sur un royaume, mais un maître des rituels collectifs, un instigateur de l’absurde et du subversif.

Au fil du temps, le roi du carnaval se voit attribuer des responsabilités symboliques : il est celui qui préside les réjouissances, celui qui “règne” sur la fête et sur les manifestations populaires. Ce rôle de “souverain” devient une forme de satire royale, où les puissants sont raillés, et où la hiérarchie sociale est questionnée à travers la parodie et la moquerie. Ainsi, dans le Paris médiéval et les premiers temps modernes, le roi du carnaval est un personnage essentiel, incarnant la transgression et la liberté, et offrant un miroir des tensions sociales qui traversent la capitale.

Le roi du carnaval dans le Paris de l’Ancien Régime

Sous l’Ancien Régime, le carnaval de Paris prend de plus en plus d’ampleur, devenant une fête majeure du calendrier urbain, en particulier lors des dernières semaines avant le Carême. C’est à cette époque que la figure du roi du carnaval se structure davantage et se renforce comme symbole de subversion de l’ordre social. Cette période connaît un carnaval codifié où les hiérarchies se renversent temporairement, et où le roi, élu pour sa capacité à incarner l’excès et la transgression, est au cœur de la célébration.

Le Carnaval de Paris au XVIIe et XVIIIe siècles se distingue par des processions et des parades spectaculaires, qui traversent les rues de la capitale, souvent jusqu’aux portes de la ville. Le roi du carnaval n’est pas simplement un personnage fantaisiste, il devient une figure d’autorité dans la fête, dirigeant les rituels, les jeux et les danses. La société parisienne, même en pleine hiérarchie monarchique, semble alors permettre, à travers ce personnage, une bouffée d’air frais dans laquelle chacun, du plus pauvre au plus puissant, peut se déguiser et se délecter de la liberté momentanéement accordée par ce roi symbolique.

Les défilés du carnaval se transforment en représentations théâtrales où la monarchie, le clergé et la noblesse sont souvent caricaturés par des costumes et des scènes de théâtre populaire. Le roi du carnaval devient ainsi une figure de satire sociale, raillant les vices et les hypocrisies des classes dirigeantes. Ces festivités étaient une manière, pour les classes populaires, de se moquer de l’autorité, tout en jouissant d’une liberté éphémère. Les éléments de déguisements, de masques, et de chants traditionnels jouent un rôle essentiel dans la subversion de l’ordre établi, et la figure du roi est au centre de ces pratiques.

Les autorités, bien conscientes de ce pouvoir subversif, cherchent cependant à limiter les excès du carnaval tout en préservant la fête comme un outil de contrôle social. À partir du XVIIIe siècle, les autorités royales tentent de restreindre les festivités carnavalesques, notamment en imposant des règlements stricts concernant les défilés et en interdisant certaines formes de parodies trop agressives à l’égard de la monarchie. Le roi du carnaval, bien qu’enraciné dans cette tradition populaire, devient ainsi un personnage qui illustre la tension entre la rébellion sociale et l’autorité royale.

Dans cette période, le roi du carnaval est donc à la fois un protagoniste de la contestation et un outil de régulation des émotions populaires. Par la fête et la dérision, il permet au peuple de prendre la parole, tout en offrant au pouvoir un moyen de contrôler la manière dont cette parole est exprimée. Il incarne un espace-temps où les règles sociales sont suspendues, mais où la réaffirmation de l’ordre est aussi présente, sous la forme d’une festivité encadrée, toujours en équilibre entre liberté et répression.

Ainsi, au cœur du Paris de l’Ancien Régime, le roi du carnaval reste une figure ambivalente, oscillant entre éclat et marginalité, entre liberté et contrôle, et incarnant une tradition carnavalesque où l’absurde et la critique sociale prennent une place prépondérante.

Le roi du carnaval à l’époque moderne : du contrôle à la réinvention

À l’aube du XIXe siècle, avec les bouleversements sociaux, politiques et culturels apportés par la Révolution française et l’industrialisation, la figure du roi du carnaval à Paris connaît une transformation notable. Le carnaval, autrefois dominé par une volonté de renversement de l’ordre social et politique, se réinvente dans un contexte où l’idéal d’une fête populaire doit composer avec les nouvelles réalités de la société moderne.

L’instabilité politique, les changements sociaux radicaux et l’émergence de nouvelles formes de répression par l’État influencent la manière dont le carnaval est vécu. Sous Napoléon Bonaparte, les autorités tentent de contrôler le carnaval, d’une part en encadrant les festivités, et d’autre part en subordonnant la figure du roi du carnaval à un idéal plus proche de la célébration de l’empereur et de l’unité nationale. Le carnaval de Paris, bien qu’il conserve certains éléments populaires et débridés, est désormais vu sous un angle plus organisé, où le roi du carnaval devient, dans une certaine mesure, une figure plus cérémonielle.

Au XIXe siècle, cependant, un regain d’intérêt pour les traditions populaires et les célébrations collectives ouvre la voie à une réinvention du roi du carnaval. Cette période voit l’apparition de nouveaux lieux de fête comme les bal publics, les foires, et surtout, les théâtres populaires où le carnaval retrouve une place centrale. Les arts, la littérature et la musique populaires se réapproprient la figure du roi du carnaval, en la transformant en une icône de la contestation politique, notamment sous la forme de carnavals satiriques. C’est notamment le cas dans les chansons, les pièces de théâtre et les caricatures qui, tout au long du XIXe siècle, feront du roi du carnaval une figure de révolte et d’humour face aux changements politiques, comme en témoigne l’iconographie du roi républicain ou le carnaval de la Commune de Paris en 1871, où la subversion des normes sociales se fait de manière plus explicite.

Le carnaval, bien qu’encadré par les autorités, reste donc un lieu où le peuple peut exprimer ses frustrations et ses espoirs, et où le roi du carnaval, par sa symbolique de renversement, demeure une figure essentielle dans le maintien de cet espace de liberté temporaire. Ce personnage, même dans un contexte de plus en plus modernisé, trouve sa place dans les espaces publics et les festivités, où il incarne à la fois la critique sociale et la possibilité d’un monde autre, symbolisé par ce “règne” éphémère.

La réinvention de cette figure, toujours présente dans les défilés modernes de Paris, notamment ceux du Carnaval de Paris au XXe siècle, montre que, bien que les structures sociales aient changé, le roi du carnaval demeure un héritage vivant, porteur de l’esprit de liberté et de critique. Il incarne désormais une forme de résistance contre l’ordre établi, mais de manière plus diffuse et moins visible, à travers des carnavals politiques ou des événements plus intimistes où l’humour et la dérision restent des outils puissants de contestation.

Ainsi, le roi du carnaval, loin de disparaître avec la modernité, se réinvente sans cesse, s’adaptant aux nouvelles formes de la contestation sociale et politique. Dans un Paris transformé par la révolution industrielle et l’urbanisation, il reste une figure clé de la culture populaire, un relais entre l’héritage ancien du carnaval et les nouveaux moyens d’expression des classes populaires.

Le roi du carnaval dans la culture contemporaine : une icône de la fête et de la liberté

Au XXe et XXIe siècle, la figure du roi du carnaval continue d’évoluer dans un contexte de transformations culturelles et sociales profondes. Si le carnaval perd une partie de sa dimension politique dans la Paris moderne, il conserve son rôle central dans les manifestations populaires et dans les moments de libération festive. Aujourd’hui, le roi du carnaval incarne moins la critique des élites et davantage une figure joyeuse de l’exubérance collective. Cependant, il reste porteur de cette tradition de transgression et de remise en question des normes sociales, un héritage qui s’est réinventé à travers les diverses formes de carnaval contemporain.

Le Carnaval de Paris, bien qu’il ait connu des hauts et des bas au cours du XXe siècle, fait son grand retour à la fin des années 1990 et au début des années 2000, après une longue période d’oubli. Le défilé, qui traverse les rues de la capitale, voit à nouveau l’émergence de figures symboliques comme le roi du carnaval, qui revient comme une figure ludique et festive, prête à incarner la liberté de vivre en dehors des contraintes sociales habituelles. Les costumes, les masques et les danses s’inscrivent dans un esprit de célébration collective, où les frontières sociales, raciales et de genre sont souvent floues, et où le roi du carnaval joue un rôle central en tant que porteur de cette transgression. Ce retour du carnaval dans l’espace public renoue avec une tradition ancienne, tout en se réinventant selon les enjeux contemporains.

Le roi du carnaval dans la culture contemporaine n’est plus nécessairement une figure d’opposition directe aux pouvoirs en place, mais il reste le symbole d’un espace-temps suspendu où l’on peut, pour un moment, échapper aux normes de la société capitaliste et de l’ordre établi. Dans un Paris où la mondialisation, les nouvelles technologies et les revendications identitaires prennent une place prépondérante, le roi du carnaval incarne aussi une forme de résistance joyeuse face aux pressions sociales et aux inégalités. Il est, par exemple, réinterprété dans les carnavals politiques, comme ceux qui se déroulent lors des manifestations sociales ou dans le cadre des événements liés à la contestation des politiques publiques. Le carnaval devient alors un moment d’affirmation identitaire, mais aussi un lieu où se croisent des messages de solidarité, de justice sociale et d’affirmation de la liberté individuelle.

Enfin, dans la culture populaire, notamment à travers les films, les romans et les séries télévisées, le roi du carnaval continue de capturer l’imaginaire collectif, incarnant cette idée de l’irruption de la liberté dans le quotidien. Ce personnage a été repris sous de multiples formes, depuis le prince du carnaval dépeint dans des films comme La Folie du roi George jusqu’aux représentations plus contemporaines, comme dans la culture urbaine, où le carnaval se transforme en un moyen d’affirmer une culture alternative, de revendiquer la diversité et de dénoncer les inégalités.

Ainsi, même si le rôle du roi du carnaval a évolué et que sa portée politique est parfois plus indirecte, il reste une figure incontournable dans l’imaginaire parisien. Son pouvoir symbolique de renversement, de transformation et de liberté temporaire continue de résonner dans une époque où l’on cherche toujours à questionner et à réinventer les rapports sociaux. Le roi du carnaval demeure une icône de la fête, un phare lumineux dans le quotidien souvent morose de la capitale, porteur d’un souffle de liberté dans un monde en constante mutation.

Conclusion

Le roi du carnaval à Paris, figure incontournable des traditions populaires, traverse les époques en se réinventant sans cesse, tout en conservant son essence subversive et libératrice. De l’Ancien Régime, où il incarnait la contestation de l’ordre établi, à la culture contemporaine, où il devient un symbole de joie collective et de réinvention des normes sociales, il demeure une figure clé du carnaval parisien. Au fil des siècles, son rôle a évolué, passant d’une parodie de la royauté à une icône festive et politique, tout en restant fidèle à son origine : un moment d’évasion, de critique et de transformation.

Aujourd’hui encore, le roi du carnaval continue de nourrir l’imaginaire populaire, incarnant cette aspiration à la liberté et à la transgression qui a toujours été au cœur des carnavals parisiens. Il symbolise l’opportunité de suspendre les contraintes sociales et de célébrer la diversité, la solidarité et l’esprit de communauté. Qu’il soit un leader temporaire de la fête ou une forme de protestation, le roi du carnaval reste un acteur majeur de l’identité culturelle parisienne, reflétant à la fois les tensions sociales et la résilience d’une tradition qui, loin de disparaître, se réinvente constamment dans le Paris d’aujourd’hui.

Sources bibliographiques :

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