Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

La psychologie de l’apache selon la presse

La psychologie de l’apache selon la presse : être violent et refusant la contrainte pour être le plus libre !

 

Comment comprendre cette montée de violence que connait le nord de Paris en cette début du XXe siècle ? Qui sont ces groupes d’apaches qui défraient la chronique et qui sèment leurs coups autour de Belleville ?

Aussi, les journaux regorgent de points de vue pour expliquer le phénomène. Parmi eux, le Gaulois qui dans son édition du 27 novembre 1904 revient largement sur le sujet.

« L’heure est donc venue d’en parler, comme d’une puissance à son aurore ; et, puisque ces rois de Paris sont en voie de devenir nos maîtres, donnons-nous la faible consolation d’être leur historiographe »

Alors bien évidemment, nous n’allons pas vous présenter ici une véritable étude sociologique, mais, nous nous intéresserons davantage à la perception du phénomène par leurs contemporains. Tout en sachant que certains journalistes n’hésitaient pas à comparer la criminalité des rues avec celles des politiques d’autres bords.

 

Un nom que l’apache a reçu sans déplaisir

Tout d’abord, rappelons que le nom d’apache vient de l’usage par surprise d’un policier lors de l’interrogatoire d’un brigand. En écoutant les faits d’armes du prévenu, il réagit en le désignant d’apache. Ce ne fut pas sans déplaisir pour son interlocuteur. Le nom est resté.

« Vagabond, escroc ou escarpe, suivant son tempérament, il n’a pas un denier, mais veut jouir, dédaigne le nécessaire mais tient au superflu ; tantôt lâche et tantôt téméraire, suivant l’occasion courant la nuit comme un chat maigre, et le lendemain, plus voluptueux qu’un Sultan. » 

Dans notre série sur les apaches, nous avions bien évidemment démarré par cette histoire : l’origine du nom. C’est en effet une gageure dans la présentation de ces criminels au début des années 1900.

 

Le refus de toute contrainte et de tout lien

« Ce bas aventurier n’admet aucune loi, parce que toute loi est un obstacle et un frein, mais ce n’est pas un révolté. Civilisé à l’excès, malgré son existence d’animal rapace, il aime la Société à sa manière : c’est pour lui l’assemblage des billets de banque, des joailliers, des boissons fortes et des plaisirs tapageurs, des foules au fond desquelles on se plonge sans laisser de traces, des faibles et des niais qu’on dévalise sans peine, et des camarades prompts à accourir au moindre coup de sifflet. »

C’est déjà pas mal. Le journaliste poursuit :

« Oui, des camarades. Notre Apache, tout ainsi que son congénère d’Amérique, est guidé par un féroce égoïsme et incapable de se plier à une discipline mais, la solitude le laissant trop souvent désarmé, il cherche des auxiliaires pour un coup difficile ou une défense désespérée, à charge de revanche. C’est de la sorte que le loup, animal insociable, se met en bande lorsque la faim le pousse aux expéditions périlleuses »

Selon lui, l’apache est incapable de se lier durablement à quelqu’un.

« Notez bien qu’après la crise chacun recouvre son indépendance ; l’amitié, sentiment humain, n’unira jamais deux Apaches ; le plus souvent, au contraire, les relations se dénoueront par quelque terrible duel au couteau. »

Seul l’affrontement de l’ennemi commun, le policier, peut selon le journaliste faire émerger chez les apaches une quelconque aide.

 

Un personnage qui n’a pas peur du risque

« Là encore il pose. La condamnation qu’il risque n’entre pas en ligne de compte avec l’effet qu’il veut produire. Il vise au cynisme, soigne ses réparties, ses cuirs eux-mêmes ne le déconcertent pas ; il s’élève invariablement jusqu’au Manifeste. C’est, dit-il, la Société qui a tort ; le droit à la jouissance appartient à tous ; les lois sont faites par les enjuponnés et demeurent non avenues pour l’homme libre. J’en passe et des meilleurs. La majorité blocarde, sans contredit, applaudirait ce « vaillant précurseur », ce « soldat d’avant-garde » ; grâce à Dieu, le jury n’est pas toujours du même avis que le Parlement. » 

Le rejet des contraintes de la société, probablement pour des raisons de nécessité que des convictions anarchistes s’accompagne donc d’une vie risquée, devant affronter les rivaux et la police.

 

La volonté d’être connu

« Il y a quelque vingt ans, j’ai vu de près ce type d’Apache dans l’affaire dite de la bande de Neuilly. Plusieurs jeunes sauvages s’étaient temporairement réunis pour exécuter des coups d’ensemble. Ils firent merveille. A l’instruction le chef s’épancha. ‘Ma préoccupation constante, dit-il, était non-seulement de vivre dans l’opulence sans travailler, mais encore et surtout de devenir un voleur célèbre, de faire parler de moi, de savoir mon portrait dans les kiosques. J’étais certainement un homme supérieur dans mon genre, mais je n’aimais pas le sang, et la férocité de mes camarades me gênait, outre que l’un d’eux intriguait pour me supplanter. Cependant je grandissais, lorsque nous décidâmes d’aller chez une vieille femme qui passait pour avoir beaucoup d’or dans son logis. Elle ne voulut pas nous livrer son trésor et mes compagnons l’étranglèrent. Ceci me déplut et, comme j’ai des habitudes d’élégance, je ne consentis à souper dans la maison qu’à la condition qu’on porterait ailleurs le cadavre. Les autres me raillèrent et n’y voulurent entendre. Aussitôt je provoquai le partage, enjambai vivement le corps de la morte et me retirai. Après mon départ, ces brutes s’enivrèrent et donnèrent t’éveil à la police. Je suis vaincu je n’en étais pas moins une force’ »

Probablement vrai pour les chefs de gangs, être apache donnait une place dans le quartier !

 

Sources bibliographiques :