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Pierrot au XVIIe siècle : Naissance d’un rêveur sur les scènes parisiennes

Lorsque la Commedia dell’Arte s’installe à Paris au XVIIe siècle, elle apporte avec elle une galerie de personnages hauts en couleur, issus de la tradition italienne. Parmi eux, Pierrot, le valet candide et rêveur, trouve une place toute particulière dans le cœur des spectateurs parisiens. Avec sa blouse blanche, son visage dénué de masque et son caractère mélancolique, il se distingue des figures plus flamboyantes et farceuses comme Arlequin ou Colombine.

Adapté au goût du public français, Pierrot devient bien plus qu’un simple valet naïf. Il incarne une forme de poésie, mêlant comique de situation et douceur mélancolique, qui résonne avec les sensibilités de l’époque. Mais comment ce personnage, né en Italie dans les tréteaux de la Commedia dell’Arte, s’est-il imposé sur les scènes parisiennes ? Et pourquoi, au milieu du XVIIe siècle, sa figure lunaire devient-elle un symbole de l’artiste rêveur et solitaire ?

Dans cet article, nous explorons la naissance de Pierrot dans la tradition italienne, son évolution dans le contexte parisien et les raisons de sa popularité durable à une époque où le théâtre devient un lieu clé de la culture française.

Origines de Pierrot dans la Commedia dell’Arte

Pierrot, une création de la tradition italienne :

Né sous le nom de Pedrolino, Pierrot émerge au sein de la Commedia dell’Arte, cette forme théâtrale populaire apparue en Italie au XVIe siècle. Dans ce théâtre improvisé, les personnages sont des archétypes fixes, chacun incarnant une fonction sociale ou une qualité humaine. Pedrolino appartient à la catégorie des zanni, les valets malins ou maladroits, qui jouent un rôle central dans les intrigues comiques.

Contrairement à d’autres valets comme Arlequin, connu pour sa vivacité et ses ruses, Pedrolino se distingue par sa simplicité et sa naïveté désarmante. Fidèle et sincère, il est souvent le serviteur malchanceux, victime des quiproquos et des farces fomentées par les autres personnages. Pourtant, sa bonhomie et son honnêteté lui confèrent un certain charme, et il devient rapidement un personnage aimé du public.

Un personnage reconnaissable entre tous :

L’apparence de Pierrot, dès ses origines, contribue à le rendre immédiatement identifiable. Contrairement à la plupart des autres personnages de la Commedia dell’Arte, qui portent des masques, Pedrolino est joué à visage découvert. Ce choix, rare dans cette tradition théâtrale, permet aux spectateurs de lire sur son visage toute la palette de ses émotions : joie, tristesse, ou désarroi.

Son costume, fait de tissus blancs amples, est également significatif. Là où Arlequin brille par son habit multicolore et ses mouvements vifs, Pierrot arbore une tenue simple et monochrome, renforçant son caractère humble et modeste. Ce costume deviendra l’un des attributs les plus durables du personnage, évoluant peu au fil des siècles.

Pedrolino : entre comique et vulnérabilité :

Au cœur des intrigues, Pedrolino est souvent impliqué dans des situations absurdes, généralement à ses dépens. Son rôle de valet loyal le place fréquemment au centre de malentendus : il sert de messager maladroit, de confident naïf ou de bouc émissaire des ruses des autres personnages. Ces mésaventures prêtent à rire, mais elles révèlent également un personnage doté d’une dimension humaine que d’autres figures de la Commedia dell’Arte n’ont pas.

Sous ses airs comiques, Pedrolino porte les marques d’une certaine mélancolie. Contrairement à Arlequin, qui triomphe souvent grâce à sa ruse, Pierrot est un perdant attachant. Cette double facette – comique et tragique – lui permettra de s’adapter parfaitement au public parisien du XVIIe siècle, sensible à cette combinaison de légèreté et d’émotion.

L’évolution vers Pierrot :

Avec l’arrivée des Comédiens italiens en France, Pedrolino s’adapte au goût du public français et devient Pierrot. Cette transition n’est pas qu’un simple changement de nom : elle marque l’intégration de traits plus subtils et plus poétiques, qui s’éloignent parfois des aspects purement burlesques de la Commedia dell’Arte italienne. Les racines italiennes de Pierrot restent cependant visibles dans sa tenue, son rôle et sa relation avec les autres personnages, tout en se teintant d’une mélancolie qui deviendra sa marque de fabrique dans les siècles à venir.

Ainsi, Pierrot, né de l’imagination des comédiens italiens itinérants, s’est rapidement imposé comme une figure unique dans le paysage théâtral européen. Sa personnalité candide et touchante lui a permis de transcender son rôle de simple valet pour devenir une icône culturelle à part entière.

Pierrot et la comédie italienne à Paris

L’arrivée des Comédiens italiens sous Louis XIV :

C’est au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, que la Commedia dell’Arte s’installe à Paris de manière durable. En 1644, les Comédiens italiens s’installent au Palais-Royal, offrant au public français une nouvelle forme de spectacle, où l’improvisation et le jeu de masques étaient les principaux ressorts de l’intrigue. Dans un contexte de répression des formes de théâtre traditionnelles (comme les farces populaires), cette nouvelle troupe rencontre un grand succès auprès des Parisiens friands de nouveautés théâtrales.

Les personnages de la Commedia dell’Arte, tels que Arlequin, Colombine et Pierrot, deviennent rapidement des figures incontournables dans le paysage théâtral de la capitale. En particulier, Pierrot, bien qu’étant un personnage secondaire dans les pièces italiennes, prend ici une place centrale et gagne en popularité grâce à sa simplicité et son honnêteté qui résonnent avec les attentes du public français. Il incarne un contraste frappant avec les personnages plus espiègles et provocants, comme Arlequin, qui est lui perçu comme plus rusé et agile.

L’adaptation du personnage au goût du public français :

Le personnage de Pierrot, tout en restant fidèle à ses origines, subit quelques ajustements pour répondre aux goûts spécifiques du public parisien. Dans la Commedia dell’Arte, Pierrot est parfois un personnage secondaire, un simple valet aux comportements plutôt rigides. Toutefois, à Paris, il devient une figure plus complexe et introspective.

La mélancolie du personnage s’accentue, et Pierrot devient plus qu’un simple valet : il devient un symbole de la fragilité humaine, un personnage qui fait écho à la sensibilité croissante de la société française de l’époque, notamment chez les intellectuels et artistes. La réflexion sur l’art et la solitude se mêle ainsi à ses aventures comiques, et Pierrot devient une sorte de miroir pour la société parisienne, un être à la fois risible et profondément émouvant.

En outre, Pierrot gagne une dimension plus poétique et contemplative, qui attire un public plus large, au-delà de celui des amateurs de comédie pure. Il est ainsi perçu comme un personnage presque tragique, un rêveur solitaire cherchant à naviguer dans un monde complexe et souvent cruel. Cette évolution fait de lui une figure universelle, appréciée non seulement pour son côté comique, mais aussi pour sa profondeur émotionnelle.

Pierrot dans les intrigues parisiennes : un valet lunaire face à Arlequin et Colombine :

Au Théâtre du Palais-Royal et dans d’autres lieux parisiens, Pierrot prend part à des intrigues où il se retrouve souvent pris dans des situations où son naïveté et sa loyauté le placent en décalage avec les autres personnages. Dans ces pièces, il est fréquemment amoureux de Colombine, qui, dans une dynamique classique de la Commedia dell’Arte, lui préfère Arlequin, plus brillant et plus rusé. Cette situation amoureuse, teintée de tristesse, devient une des scènes récurrentes du personnage, soulignant son côté vulnérable et attachant.

Contrairement à d’autres personnages de la troupe, comme Harlequin ou Pantalon, qui utilisent l’esprit ou la ruse pour manipuler les situations, Pierrot agit souvent de manière instinctive, suivant son cœur, mais se retrouvant ainsi à la merci des autres personnages. Il est, par conséquent, victime des jeux de pouvoir qui se jouent sur scène, ce qui lui confère une qualité touchante et une humanité qui va au-delà de la simple farce.

Les pièces où Pierrot est présent, qu’il s’agisse de scènes d’amour non partagé, de quiproquos ou de scènes comiques où il est pris dans des malentendus, contribuent à l’émergence d’une nouvelle forme de comédie, moins axée sur la simple farce et plus sur la psychologie des personnages et les interactions humaines. Ce renouvellement des codes comiques marquera l’évolution du théâtre français au XVIIe siècle.

Un personnage qui incarne la fragilité humaine :

Ce qui distingue Pierrot des autres personnages de la Commedia dell’Arte, c’est cette capacité à allier comique et profondeur. Là où Arlequin incarne la malice, Pierrot incarne la fragilité humaine, la vulnérabilité de l’âme. Sa fidélité et sa sincérité en font un personnage tragique, souvent maltraité par la vie, mais toujours résolument optimiste malgré les coups du sort. Cette dualité, entre comique et pathos, fait de Pierrot un personnage complexe, et cela contribue à son immense popularité à Paris, où le théâtre devient un lieu privilégié d’expression des sentiments humains.

L’adaptation de Pierrot dans le cadre de la comédie italienne à Paris au XVIIe siècle marque un tournant dans l’évolution du personnage. Il devient plus qu’un simple valet comique ; il se transforme en une figure émotionnellement complexe, capable d’incarner des valeurs humaines universelles. Sa vulnérabilité, son innocence et sa fidélité à ses idéaux le placent au cœur de nouvelles dynamiques théâtrales, où la mélancolie et le comique de situation se mêlent pour toucher un large public. Ainsi, Pierrot trouve sa place parmi les personnages les plus marquants du théâtre parisien de l’époque, un rôle qu’il continuera à incarner et à réinventer au fil des siècles.

Un personnage entre comique et mélancolie

Le comique de situation : la naïveté face à la ruse

Pierrot, dans les pièces parisiennes du XVIIe siècle, joue un rôle fondamental dans le comique de situation. Contrairement à Arlequin, qui utilise l’esprit et la ruse pour manipuler les événements à son avantage, Pierrot est constamment à la merci des autres personnages en raison de sa naïveté. Il incarne ce qu’il y a de plus humain dans la comédie : un être sincère, mais souvent pris au piège de son innocence. Ses interactions avec les autres personnages, notamment Colombine et Arlequin, sont un terrain fertile pour les quiproquos et les situations absurdes, créant ainsi un rire spontané mais aussi parfois un rire teinté de tristesse.

Cette naïveté dans ses actions est la clé de son comique. Il se trouve souvent dans des situations où il ne comprend pas l’ampleur des intrigues qui se jouent autour de lui, ce qui provoque des malentendus et des débats absurdes. Pierrot, toujours fidèle et plein de bonnes intentions, n’arrive pas à percevoir les manipulations d’Arlequin ou les désirs contradictoires de Colombine. Cependant, ces imprévus comiques ne sont jamais anodins : chaque scène où Pierrot se retrouve confronté à des situations qu’il ne maîtrise jamais totalement souligne une fragilité qui fait écho à la condition humaine.

La touche poétique : la solitude et l’émotion derrière le rire

Si Pierrot est souvent perçu comme un valet comique, il est également un personnage qui porte en lui une grande mélancolie. La solitude de Pierrot, son amour non partagé pour Colombine et son incapacité à changer son destin confèrent au personnage une dimension poétique qui contraste avec les autres valets de la Commedia dell’Arte. Dans un monde de plus en plus marqué par l’individualisme, Pierrot devient une figure presque tragique, dont les rêves et espoirs semblent toujours se heurter à une réalité plus dure.

Ce côté mélancolique de Pierrot, particulièrement présent dans ses scènes d’amour, crée un contraste saisissant avec l’humour de la Commedia dell’Arte. Si Pierrot fait rire le public par ses maladresses et son incapacité à comprendre les situations, il suscite aussi de la compassion. C’est là une des raisons pour lesquelles il transcende le simple rôle de « clown » : il devient un symbole de l’artiste solitaire, de l’individu qui, malgré les épreuves de la vie, continue de rêver et de s’accrocher à une pureté d’âme qui lui est propre. Ce mélange de rire et de tristesse fait de lui une figure poignante et une source d’émotion pour le public, qui est capable de rire tout en ressentant une forme de compassion silencieuse pour ce personnage incompris.

L’influence de Pierrot sur le théâtre et la pantomime

Pierrot, au-delà de son rôle dans la comédie, joue également un rôle crucial dans l’évolution du théâtre muet et de la pantomime en France. En effet, le personnage de Pierrot devient silencieux dans de nombreux spectacles, ce qui permet d’accentuer encore sa dimension tragique et poétique. Les scènes de pantomime où Pierrot joue un rôle central se concentrent sur des gestes expressifs qui traduisent ses émotions sans avoir besoin de mots. Ce choix donne à Pierrot une présence physique exceptionnelle, car ses gestes deviennent un moyen d’expression profondément humain, voire plus percutant que les dialogues eux-mêmes.

Le silence de Pierrot devient une forme de communication, un moyen de rendre palpable sa solitude intérieure, sa quête du rêve et de l’amour non partagé. Cela transforme Pierrot en un personnage universel, dont les émotions pures et l’univers intérieur résonnent encore plus fortement auprès du public. À travers ce langage universel du corps, Pierrot devient non seulement un comédien du théâtre, mais aussi un acteur majeur dans l’histoire de la pantomime et du théâtre expressif, où la gestuelle et l’émotion prime sur les mots.

L’adoption de Pierrot par les artistes et écrivains

L’évolution du personnage de Pierrot à Paris dépasse les seules frontières du théâtre pour toucher également le monde des arts plastiques et de la littérature. Au XIXe siècle, Pierrot devient une icône romantique, et son image de rêveur solitaire est reprise par des écrivains, poètes et artistes comme Charles Baudelaire et Gustave Doré. Son personnage est symboliquement lié à une forme d’isolement et à une quête sans fin, qui trouve un écho dans la sensibilité des artistes de cette époque.

Dans la poésie symboliste, Pierrot est vu comme une âme en quête de sens, une figure de l’artiste qui lutte pour trouver sa place dans un monde qui ne le comprend pas. Il devient un symbole de l’incompréhension de l’artiste par la société et un symbole de l’art pur, détaché des préoccupations mondaines. Ce transfert de Pierrot du théâtre vers d’autres formes artistiques témoigne de son importance culturelle au-delà des scènes de comédie.

Pierrot n’est pas seulement un personnage comique, mais un symbole de l’âme humaine dans toute sa fragilité. À travers ses maladresses et sa naïveté, il incarne des émotions profondes de solitude, d’amour non réciproqué et de rêverie infinie. Son évolution sur les scènes parisiennes du XVIIe siècle, du valet naïf à la figure mélancolique et poétique, reflète un tournant dans la manière dont le théâtre représente les émotions humaines. Aujourd’hui encore, Pierrot reste une icône universelle, symbole de l’artiste en quête de sens et de beauté, un personnage dont la naïveté cache une profonde sensibilité.

Conclusion : L’héritage de Pierrot à Paris et au-delà

Au XVIIe siècle, la figure de Pierrot s’est imposée à Paris, non seulement comme un personnage central de la comédie italienne, mais aussi comme une icône émotionnelle et artistique d’une époque marquée par le contraste entre le comique et le tragique. De valet naïf et innocent dans la Commedia dell’Arte, Pierrot est devenu un symbole de la solitude poétique, un personnage dont la naïveté et la mélancolie touchent profondément le public. Son évolution à Paris a permis de l’introduire dans des contextes où l’humour et la poésie se mêlent, où l’émotion de l’artiste se déploie à travers une gestuelle silencieuse ou une relation amoureuse non partagée.

Ce qui distingue Pierrot des autres figures de la Commedia dell’Arte, c’est sa capacité à incarner des émotions humaines universelles. Si Arlequin ou Colombine peuvent sembler plus accessibles par leur dynamisme et leur esprit, Pierrot porte sur ses épaules une dimension tragique qui dépasse le simple cadre comique. L’essence de Pierrot réside dans sa quêté inlassable de l’idéal, dans sa fragilité et sa pureté d’âme. De cette manière, il devient un reflet de l’artiste incompris, un personnage dont les rêves et les émotions trouvent écho dans les sensibilités des spectateurs.

L’influence de Pierrot ne se limite pas au théâtre : il est devenu une figure centrale dans la littérature, la musique et les arts plastiques. Des poètes comme Baudelaire et des artistes comme Gustave Doré l’ont immortalisé, l’élevant au rang de symbole de l’artiste romantique, solidaire de sa quête de beauté, mais déchiré par l’incompréhension de son époque. La silhouette fragile de Pierrot, sa posture rêveuse et son visage sans masque, sont devenus des emblèmes de l’art pur, souvent confronté à la solitude.

L’héritage de Pierrot est ainsi profond et durable. En tant que personnage comique, il a influencé la manière dont la comédie se joue en Europe, passant du simple vaudeville à des spectacles plus introspectifs et émotionnels. En tant que figure poétique, il a inspiré des générations d’artistes et d’écrivains, devenant une icône universelle, dont les préoccupations existententielles résonnent toujours aujourd’hui. Les mélanges de comique et de pathos, qui définissent le personnage de Pierrot, sont toujours pertinents et continuent d’influencer les représentations artistiques contemporaines.

Ainsi, Pierrot ne se contente pas de représenter une époque ou une forme de théâtre. Il reste une figure intemporelle, perpétuellement réinventée à chaque génération, un mélange parfait de lumière et d’ombre, dont la présence continue d’alimenter l’imaginaire collectif. Dans son naïf désir d’amour, sa quête sans fin de sens et de beauté, Pierrot reste le reflet des aspirations humaines les plus universelles et profondes. Il est l’artiste, le rêveur, le poète – une figure éternelle sur scène, mais aussi dans nos cœurs.

Sources bibliographiques : 

Wikipédia. “Pierrot (commedia dell’arte).” Consulté le 11 janvier 2025..

Bibliothèque nationale de France (BnF). “La Comédie-Italienne au XVIIe siècle.” Consulté le 11 janvier 2025.

EspaceFrancais.com. “Pierrot.” Consulté le 11 janvier 2025..

Wikipédia. “Pedrolino.” Consulté le 11 janvier 2025..

Cethefi. “Dictionnaire des Pierrots.” Consulté le 11 janvier 2025..

Musée du Louvre. “Le Pierrot de Watteau : la relecture d’une icône au musée du Louvre.” Consulté le 11 janvier 2025..

DFK Paris. “Les reflets de Pierrot, de Watteau à Deburau et Prévert.” Consulté le 11 janvier 2025.