La passerelle des Invalides emportée par la débâcle de 1880
La passerelle des Invalides emportée par la débâcle de 1880 : les piles de bois ne résistent pas à la glace !
Lors du terrible hiver 1879 – 1880, le pont des Invalides est en lourd travaux de rénovation. Même s’il datait dans cette configuration seulement de 1856, il est alors nécessaire de procéder à une vaste consolidation.
Pour pallier cette situation, on le double d’une passerelle en bois. Ainsi, le passage d’une rive à l’autre est toujours possible sans avoir à réaliser le détour vers l’Alma ou la Concorde.
Toutefois, ce qui peut être utile en temps normal reste d’une bien grande fragilité quand les éléments s’en mêlent. C’est le cas en décembre 1879 et en janvier 1880.
Après avoir été prise en glace, la Seine connait une violente débâcle. La glace se met en mouvement et vient frapper les piles de la passerelle entraînant sa rupture.
Un point de faiblesse identifiée dès le début
Avant même que la débâcle ne s’amorce, les autorités s’affairent à protéger le site. Elles mandatent des artificiers pour qu’ils dynamitent la glace. Avec cette technique, ils espèrent dégager l’eau liquide afin que les glaçons s’échappent facilement entre les piles de la passerelle.
Nous lisons dans le Petit Parisien du 1er janvier le compte rendu suivant :
« Les efforts ont particulièrement concentré sur les ponts d’Austerlitz, de Sully, de Solférino et des Invalides.
Le premier de ces ponts est celui qui subira le plus violemment le choc des glaçons venant de la haute Seine. Le second est en biais et de construction récente, ce qui rend très problématique la mesure de la résistance qu’on en peut attendre.
Quant à celui des Invalides, les travaux en cours et les nombreux ouvrages qui le précèdent pourront très certainement former une véritable barrière contre l’écoulement des glaces.
Les eaux du fleuve désagrègent en s’élevant la couche solide qui les couvre. Des dislocations se produisent çà et là, avec des craquements sonores. »
Le Petit Journal du 1er janvier complète :
« Par ce moyen, la Seine est aujourd’hui entièrement débarrassée delà glace qui la couvrait dans la section comprise entre la passerelle des Invalides et le pont de la Concorde.
De grands feux, que l’on a allumés sur la glace, au milieu de la Seine, complètent ce tableau, qui ne manque pas de pittoresque.
Depuis hier, dans l’après-midi, les eaux ont haussé de quelques centimètres et une nouvelle crue est annoncée. »
Dynamite, feux… tout est bon pour essayer de fragiliser la glace avant que le redoux la fasse fondre de manière incontrôlée et massive.
Mais la rupture survient
Toutefois, malgré les nombreux efforts, la glace en mouvement est terrible. Aussi, la rupture est annoncée dans le Petit Journal du 4 janvier 1880.
« Les masses de glaçons frappant les charpentes de la passerelle ont amené à six heures 45 la rupture complète dans toute la partie du milieu.
Toute circulation avait été heureusement interrompue ; seuls, les ingénieurs et leurs ouvriers se trouvaient sur la passerelle pour lancer, grâce à un système très ingénieux, des cartouches de dynamite sur les glaçons afin de les briser ; mais ceux-ci devenant trop nombreux, il était impossible de continuer ce travail de protection. Huit travées ont été enlevées en quelques secondes avec un bruit effrayant.
A dix heures du soir, l’amoncellement des glaces ne laissait que peu d’espoir de sauvegarder le reste de la passerelle. De l’ancien pont des Invalides, les ingénieurs éclairent la passerelle avec la lumière électrique afin de prendre les mesures nécessaires. »
La force de la Seine et de la glace
Le lendemain, le Petit Journal revient avec davantage de détail.
« A onze heures un quart, les glaçons, entraînés avec rapidité, venaient frapper les piles centrales du pont des Invalides. Nous avons raconté, hier, dans quelles circonstances s’est produite la rupture partielle de la passerelle des Invalides ; des amas de glace de plus de deux cents mètres de longueur sur au moins six de hauteur avaient été ralentis par les parties non détruites de cette passerelle, de chaque côté de la Seine.
Le courant se produisait par suite avec une violence bien plus considérable, dans le milieu du fleuve. Sans ces amoncellements, tout ce qui reste de la passerelle et du pont aurait été emporté du coup. Au premier choc des énormes glaçons, dont la plupart mesuraient vingt et trente mètres carrés les deux piles maçonniques du pont s’effondraient, entraînant la travée centrale.
On sait que le pont des Invalides ne comprenait que trois travées : celle qui est du côté des Champs-Elysées est actuellement en réparation, et aux premières craintes de débâcle on l’avait chargé de plusieurs centaines de mille kilogrammes de moellons pour lui donner plus de force de résistance.
A six heures du soir, les parties encore debout ont sensiblement fléchi. Les ingénieurs ne conservent plus aucun espoir de voir subsister aucune partie du pont. »
Comme on le voit, le pont lui-même est en risque
Les conséquences de la rupture
Dans les heures qui suivent, la rupture de la passerelle met en mouvement une nouvelle quantité de débris qui viennent se rajouter à ceux que les eaux avaient emportés. C’est ainsi un véritable problème pour l’aval.
Ensuite, comme le détaille le Petit Journal du 6 janvier 1880, le niveau de la Seine est aussi impacté. La débâcle s’était accompagnée d’une petite crue, impliquant de surveiller davantage le niveau des eaux.
« L’administration des ponts et chaussées n’a pas publié de bulletin spécial hier : les prévisions d’hier samedi sont confirmées, sous la réserve suivante : « Il s’est produit, hier soir samedi, une surélévation artificielle produite par la chute du pont des Invalides ; mais les prévisions pour le maximum restent à peu près les mêmes »
Cet événement emblématique attira les curieux, tout comme les officiels sur les lieux.
« Les autorités se sont rendues, dans la journée d’hier, aux endroits les plus menacés par la crue. M. Grévy, président-de la République, accompagné de M. Duhamel, secrétaire de la présidence, s’est rendu au pont des Invalides, où il a été reçu par M. Alphand et les hauts, fonctionnaires du service de la navigation. »
Enfin, après l’urgence de la débâcle est passée, on peut commencer à faire les comptes, ce que font les journalistes du Petit Journal dès le 13 janvier :
« Quant au pont des Invalides, les dégâts s’élèvent à près d’un demi-million. »
Sources bibliographiques :
- Le Petit Parisien du 1er janvier 1880
- Le Petit Journal du 1er janvier 1880
- Le Petit Journal du 4 janvier 1880
- Le Petit Journal du 5 janvier 1880
- Le Petit Journal du 6 janvier 1880
- Le Petit Parisien du 13 janvier 1880