Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires d'art

La parisienne selon James Tissot

La parisienne selon James Tissot : un cycle de peinture, des années 1880, entre boulevard, cirque et salons…

 

Au milieu des années 1880, James Tissot propose un cycle de 15 œuvres. Axé sur la figure de la parisienne, il est censé marqué le retour du peintre dans le jeu artistique parisien, après son retour d’exil à Londres.

Pour cette raison, Tissot propose ses toiles dans deux expositions personnelles, la première à Paris en 1885 et à Londres, ensuite, en 1886.

S’inscrivant la logique des courants naturalistes, il place les parisiennes dans leurs univers : les boulevards et leurs commerces, les spectacles et le cirque, les salons de la finance et la vie mondaine artistique. Comme on s’en rend compte, c’est la représentation en public de la parisienne qui intéresse Tissot. Ses héroïnes sont toujours sur leur 31, attirant les regards et jouant avec celui du spectateur.

 

Comme on le sait, Tissot était un véritable homme d’affaires. L’enjeu de ses toiles était de les vendre dans des ensembles illustrés. Il avait pour cela commencer à réunir des auteurs pour des nouvelles, destinées à les accompagner : Daniel Halévy, Henri Meillac, Théodore de Blanville, Guy de Maupassant, Emile Zola…

Cependant, la critique est féroce. On trouve que ses parisiennes ne sont que trop anglaises. Est-ce les manières qu’il avait prise outre-manche qui étaient trop présentes ? En tout état de cause, Tissot renonce ensuite aux sujets modernes et se consacre à l’illustration de la Bible.

 

 

A la découverte de certaines de ces toiles

Se plonger dans ces toiles, ainsi que nous vous le proposons, c’est chercher à profiter de la tendance naturaliste d’alors : représenter comme on le voit. C’est en quelque sorte comme des témoignages d’une période, même s’il faut garder à l’esprit que le peintre apporte sa propre vision des choses.

Les femmes de sport : on s’amuse au cirque

Tout comme plusieurs peintres de son temps, à commencer par Degas, Lautrec, Seurat, Tissot consacre quelques-unes de ses toiles au cirque. Attention, toutefois, il s’agit ici d’un cirque amateur, même si les costumes semblent si travaillés. Sur son trapèze, le comte de La Rochefoucauld joue à M. Loyal.

Ici, les parisiennes à regarder sont celles sur gradins ! Le personnage principal, si richement vêtu, nous regarde avec amusement, tenant délicatement à la main son éventail.

Comme on peut le voir, alors que le premier gradin est réservé aux hommes avec leur haut de forme, les femmes profitent du second niveau. Alors que le noir des hommes se répètent, c’est un festival de couleur pour ces dames, entre leurs chemisiers, leurs chapeaux, leurs éventails. Comme au théâtre, certaines étaient venus avec leurs jumelles, afin de mieux profiter du spectacle. Le temps est au divertissement.

 

Ces dames des chars : en faisant le tour de l’hippodrome, éclairées par l’électricité

Avec cette toile, nous sommes toujours au cirque. Direction, l’hippodrome de l’Alma où se jouait à la fin du XIXe siècle des magnifiques spectacles équestres ! Cette toile pour Tissot est l’occasion de s’amuser entre la modernité des lieux, marqués par une architecture en métal et en verre, et le thème antique du spectacle, une course de char.

Les chars étaient conduits par des parisiennes habillées de costumes lumineux, renforcé par l’éclairage électrique des lieux. Restons quelques instants sur ces diadèmes. Ne ressemblent-ils pas à celui de la statue de la Liberté qui sera réalisée à la même période ?

Paris est alors la ville Lumière, tant grâce à la fée électricité que ses symboles.

La plus jolie femme de Paris : l’entrée triomphale dans un salon d’une jeune demoiselle

Nous sommes ici dans le monde de la Finance. Dans ce monde d’hommes, une femme s’avance, les épaules nues et un décolleté marqué. La dame qui la suit rassure sur sa moralité. Comme on le constate dans les remarques des hommes présents sur les côtés, cette venue attire l’attention

Comme on peut s’en rendre compte, le salon est un lieu essentiel de la vie mondaine. On s’y voit et on s’y croise. Mais c’est aussi le lieu où les modes changent. Ainsi, alors que notre plus jolie femme de Paris y fait sensation, une autre femme assise, et présente auparavant ne peut que la regarder spectatrice. Les jeunes hommes ne sont plus là pour elle, devant se contenter d’un compagnon aux moustaches blanchissantes.

 

Les demoiselles de province : le risque d’arriver trop tôt.

Ce tableau ressemble à s’y méprendre à une de ses toiles anglaises : Too early ! En effet, le thème est le même : mettre en avant les doutes et le côté perdu des visiteurs à la capitale de personnes venues de province. Tissot aimait s’amuser de ces situations étonnantes, appuyant les perceptions selon lui entre les initiées, les parisiennes et les provinciales qui découvraient les us et coutumes.

En effet, nos provinciales sont comme toutes seules dans le salon, alors même que l’orchestre n’est pas encore prêt. L’homme qui les accompagne, probablement leur père, semble comme gêné. En tout état de cause, elles ne semblent pas mesurer le ridicule de leur situation, avec leur sourire, comme ravie d’être dans le salon.

 

Les femmes d’artistes : au jardin, pour le vernissage et la joie de se retrouver ensemble

En cette décennie 1880, le Salon se tenait au Palais de l’Industrie. Son vernissage donnait lieu à de magnifiques festivités. Nous sommes, avec ce tableau, dans le jardin du Pavillon Ledoyen. Là, on avait dressé de nombreuses tables pour accueillir les artistes, leurs amis… Tissot appuie la présence de ces femmes d’artistes, en appuyant le regard de l’une d’entre elles en direction du spectateur.

Se dégage de cet ensemble, comme un autre entre soi, où l’on se connait. Aussi, ces femmes d’artistes ne semblent guère impressionnées par la présence à leur table d’Auguste Rodin ou de John Lewis Brown.

La demoiselle de magasin : un petit sourire au moment de sortir et rejoindre sa voiture

Nous sommes ici à l’intérieur d’un magasin de nouveautés dans les boulevards. Au moment de sortir, nous croisons le regard de la vendeuse, avec son léger sourire, tout en tenant la porte, alors que nous allons rejoindre notre voiture à cheval.

Au même moment, une autre vendeuse regarde un homme regardant à travers la vitrine, alors même qu’elle range un tissu en hauteur. Tissot s’amuse avec cette composition, en plaçant le chaland dans le prolongement d’un bustier féminin.

Quoiqu’il en soit, étonnant de voir le contraste entre les tenues des deux vendeuses, noires et austères avec les couleurs vives des toiles et des tissus présentés à la vente.

Ce tableau donne comme une ambiance du Bonheur des Dames, même si le magasin est bien plus petit. En tout état de cause, Tissot avait pensé à Zola pour écrire la nouvelle, inspirée de cette œuvre.

 

La demoiselle d’honneur : au centre des regards et des attentions

Sur cette toile, une jeune femme monte dans un fiacre, profitant de la porte ouverte par un jeune homme élégant.  Sous quelques gouttes de pluie, elle s’avance dans une rue bondée. Probablement, notre héroïne s’était arrêtée dans un magasin à proximité. On la devine amusée, sans savoir le propos : Est-ce la rencontre avec ce bel homme ? A-t-elle vu des beaux objets qu’elle a acheté ? La légère pluie ne semble pas bien la contrarier.

Plus globalement, dans la foule parisienne, elle attire l’attention. Tissot appuie l’élégance de la parisienne qui a des moyens et qui cherche à être vue.

L’effet joue à plein. Derrière elle, deux femmes de magasins qui les regardent, avec un peu de jalousie. Le garçon boucher lui a des yeux moins discrets, focalisés sur le postérieur de la belle demoiselle. Un cuisinier, malgré le grand attirail qu’il porte sur sa tête, ne peut s’empêcher de s’arrêter pour la voir.

 

Les décors de ces belles toiles

Pour nous, ce cycle nous donne l’occasion de revenir sur la diversité des décors et la richesse du paysage urbain parisien.

Tout d’abord, les boulevards ! La rue est une véritable cohue avec ses nombreux passants, tant à pied que dans des voitures à cheval.  Les enseignes comme on peut le voir sont nombreuses et très colorées : rien n’est de trop pour attirer l’attention du passant. Il faut dire que les distractions sont nombreuses.

Les zones de spectacles ensuite : Que ce soit à l’hippodrome de l’Alma ou dans un cirque amateur, les installations sont très réfléchies pour les visiteurs. Tout est organisé, avec chacun à sa place.

Enfin, les espaces de réceptions. A Paris, à la fin du XIXe siècle, on recevait dans des salons, sous les lustres brillant à tout éclat, ou dans des jardins, entre les belles tables et les parterres de fleurs.

 

Sources bibliographiques :

  • Exposition ‘James Tissot, un ambigu moderne’ au Musée d’Orsay de juin à septembre 2020
  • Tiller, Bertrand, Tissot communard ?, in Numéro des Dossiers de l’Art consacré à l’exposition du Musée d’Orsay. Editions Faton. 2020
  • Illustration : Ces dames de char par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design. Don de M. Walter Lowry
  • Illustration : La demoiselle de magasin par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Collection Art Gallery of Ontario, Toronto. Don de la Corporation’s subscription Fund
  • Illustration : La demoiselle d’honneur par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Leeds Museums and Galleries. Don de R.R. King
  • Illustration : La plus jolie femme de Paris par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Genève, musée d’art et d’histoire, legs de Pamela Sherek
  • Illustration : Les demoiselles de province par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Collection Diane B. Wilsey
  • Illustration : les femmes d’artiste par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Norfolk. Chrysler Museum of Art
  • Illustration : les femmes de sport par James Tissot. Vers 1883 – 1885. Boston, Museum of Fine Arts, Juliana Cheney Edwards Collection