Les Modèles de Peintre dans le Néoclassicisme : Incarnation de la Beauté Idéale et de l’Héroïsme
Le néoclassicisme, courant artistique majeur du XVIIIe et du début du XIXe siècle, se caractérise par un retour aux principes esthétiques de l’Antiquité gréco-romaine, cherchant à incarner l’idéal de beauté, de rationalité et de vertu. Cette époque, marquée par des bouleversements politiques et sociaux, valorise la simplicité, l’harmonie et la grandeur morale, que l’on retrouve dans les œuvres de peintres emblématiques tels que Jacques-Louis David, Jean-Auguste-Dominique Ingres ou Pierre-Paul Prud’hon. Au cœur de ces créations, les modèles de peintres jouent un rôle fondamental : ils sont les incarnations vivantes de ces idéaux. Souvent choisis pour leur beauté physique, leur prestance et leur capacité à incarner des figures mythologiques ou héroïques, ces modèles sont transformés en symboles de vertu et d’idéalisation. Que ce soit dans les scènes historiques, les portraits ou les représentations allégoriques, le modèle devient le médiateur entre l’artiste et la perfection recherchée. Cet article se propose d’examiner la place des modèles dans le néoclassicisme, en analysant leur rôle central dans la construction de l’image idéale du corps humain, mais aussi leur fonction dans la transmission des valeurs de l’époque.
Le modèle comme incarnation de l’idéal classique
Le néoclassicisme, en se réappropriant les principes esthétiques de l’Antiquité gréco-romaine, ne se contente pas d’imiter les formes et les styles artistiques de cette époque. Il aspire à incarner des idéaux de beauté, d’harmonie et de vertu. Dans ce contexte, le modèle devient un vecteur essentiel de cette quête de perfection. Sa fonction dépasse largement celle de simple référence physique ou visuelle ; il incarne, à travers son corps, les concepts abstraits du bien, du beau et de l’harmonieux, qui sont au cœur de l’art néoclassique.
Les idéaux néoclassiques et la recherche de la perfection
Le néoclassicisme prône une beauté idéale fondée sur des critères de proportion, d’équilibre et de simplicité, inspirés des sculptures antiques, notamment des œuvres de Phidias, Praxitèle et d’autres maîtres grecs. Ces critères étaient fondés sur des calculs rigoureux, tels que le canon de proportions, qui visait à représenter le corps humain de manière harmonieuse et parfaite. Les peintres néoclassiques cherchaient à rendre ces idéaux dans leurs œuvres, en s’appuyant sur les modèles vivants. Le modèle devenait ainsi un moyen d’atteindre la perfection, non pas en reproduisant la réalité brute, mais en l’élevant à un niveau supérieur, idéalisé.
Les modèles de cette époque étaient soigneusement sélectionnés pour leur physique, qui devait incarner la pureté et l’équilibre des formes. Les femmes, souvent représentées dans des scènes mythologiques ou allégoriques, étaient choisies pour leurs traits fins et leur grâce, tandis que les hommes, en particulier dans les scènes historiques, étaient modelés pour exprimer l’héroïsme et la force. Cette recherche de la beauté idéale est manifeste dans les œuvres de Jacques-Louis David, qui insiste sur la rigueur des proportions et l’harmonie des corps dans ses tableaux.
Les modèles masculins : symboles de vertu et d’héroïsme
Dans les représentations néoclassiques, les modèles masculins sont souvent des symboles de vertu, de courage et d’héroïsme. Les peintres de l’époque utilisent des modèles vivants pour incarner des personnages historiques, mythologiques ou républicains, comme des héros de la Révolution française, des dieux antiques ou des personnages de la Grèce et de Rome. Ces modèles sont les représentants idéalisés de la force morale et physique, et leur représentation sur toile vise à élever le spectateur vers un idéal d’héroïsme.
Jacques-Louis David, par exemple, a utilisé des modèles vivants pour ses célèbres scènes d’histoire, telles que Le Serment des Horaces (1784), où il représente trois jeunes hommes dans un geste de sacrifice héroïque. Les personnages sont sculptés dans une posture rigide et symétrique, dans la tradition des statues antiques. L’artiste a probablement choisi des modèles d’académiciens ou d’amis, des hommes aux physiques solides et aux poses majestueuses. Ces personnages ne sont pas des portraits individuels, mais des représentations d’idéal, et leurs corps sont utilisés pour symboliser l’honneur, la résistance et la vertu républicaine.
La figure de Napoléon Bonaparte, souvent représentée par David dans des scènes triomphales comme Napoléon franchissant les Alpes (1801), est un autre exemple de ce travail d’idéalisme. Bien que Napoléon lui-même ait posé pour l’artiste, l’image qui en résulte est une version idéalisée du dirigeant, dans une posture presque divine, qui dépasse le cadre de la simple ressemblance physique. L’Empereur, dans cette œuvre, devient une figure presque mythologique, incarnant la grandeur et le pouvoir.
Les modèles féminins : la beauté idéale et la sensualité
Si les modèles masculins incarnent l’héroïsme et la vertu, les modèles féminins, quant à eux, sont souvent associés à la beauté idéale, à la sensualité et à la grâce. Dans les œuvres néoclassiques, les femmes sont fréquemment représentées sous les traits de déesses, de nymphes, ou de figures allégoriques comme la justice ou la liberté. Leur corps est souvent idéalisé au point d’effacer toute référence à la réalité, dans un souci d’esthétisme et de perfection.
Jean-Auguste-Dominique Ingres, un des disciples de David, excelle dans cette représentation de la féminité idéalisée, comme en témoigne La Grande Odalisque (1814). Dans cette œuvre, la figure féminine est représentée dans une pose langoureuse et sensuelle, mais les proportions du corps ont été volontairement allongées pour accentuer l’idéalisation de la forme. Cette déformation des proportions humaines, bien que non conforme à la réalité, cherche à capter la beauté parfaite, celle qui dépasse la simple représentation physique pour atteindre un idéal intemporel.
Les modèles féminins de l’époque, souvent choisies parmi les femmes de la haute société ou des modèles professionnels d’atelier, avaient pour fonction de transmettre cette beauté idéalisée, incarnant l’aspiration à l’absolu. Ces femmes étaient des symboles de pureté et de perfection, non seulement par leur beauté, mais aussi par leur capacité à incarner des vertus comme la douceur, la sérénité et la grâce. Dans les œuvres néoclassiques, elles étaient souvent représentées dans des postures élégantes et des costumes qui renforçaient cette image de beauté idéale et divine.
Les modèles dans le néoclassicisme ne sont pas simplement des êtres humains reproduits sur toile ; ils incarnent des idées abstraites de beauté, de vertu et d’héroïsme. Que ce soient des hommes ou des femmes, ces modèles sont les vecteurs de l’idéalisation néoclassique, qui cherche à transformer la réalité en une forme d’art pur et parfait. À travers eux, les artistes de l’époque parviennent à recréer un monde où l’humain est sublimé, et où l’art sert de miroir à une société aspirant à la grandeur, à la vertu et à la beauté intemporelle.
La relation entre l’artiste et ses modèles : créativité et idéalisme
Dans le cadre du néoclassicisme, le rôle du modèle va bien au-delà de celui d’un simple sujet à reproduire. Il devient un partenaire créatif, un intermédiaire entre la vision idéalisée de l’artiste et la réalité physique. À travers la relation entre l’artiste et ses modèles, un processus de transformation esthétique prend place, où le corps humain est non seulement observé, mais réinterprété pour incarner des principes plus élevés. Le modèle n’est plus seulement un élément décoratif ou une référence technique, mais devient le moyen par lequel l’artiste transpose l’humain vers l’idéal.
Le choix des modèles et leur rôle dans l’élaboration de l’œuvre
Le processus de sélection des modèles pour les peintres néoclassiques était rigoureux. Les artistes cherchaient des modèles qui pouvaient non seulement incarner les idéaux de beauté et de vertu, mais aussi répondre à des critères physiques précis qui pouvaient traduire ces idéaux. Souvent, ces modèles étaient choisis parmi les membres de l’académie, les soldats ou les modèles professionnels recrutés dans les ateliers. Ce choix se faisait en fonction de l’harmonie du corps, de l’expression du visage, et de la capacité à rendre les attitudes et les postures idéalisées.
Les ateliers d’art étaient des lieux où cette relation entre l’artiste et le modèle se construisait. Les peintres, comme Jacques-Louis David, créaient des esquisses et des études préparatoires dans lesquelles le modèle était utilisé comme un outil pour figurer les proportions parfaites et les postures idéales. Les modèles étaient souvent invités à poser dans une ambiance studieuse, à adopter des postures longues et rigides, caractéristiques des sculptures antiques. Cela permettait à l’artiste d’atteindre la perfection recherchée, que ce soit pour une scène historique, mythologique ou allégorique.
Les modèles étaient ainsi invités à “incarner” une idée plus que de simplement poser : une femme pouvait devenir une déesse ou une héroïne historique, tandis qu’un homme pouvait se transformer en un guerrier ou un citoyen républicain. Leur rôle était de matérialiser l’idéal en prenant des postures symboliques et en contribuant à l’élaboration de l’expression artistique propre au néoclassicisme.
Le modèle comme source d’inspiration et de transformation esthétique
Le modèle, une fois choisi et installé dans l’atelier, subissait souvent une transformation dans le regard de l’artiste. L’artiste ne cherchait pas à reproduire fidèlement les traits physiques du modèle, mais plutôt à créer une interprétation qui allait au-delà du réel. Le corps humain était stylisé, réajusté pour respecter les principes de beauté et d’harmonie dictés par les canons néoclassiques.
Dans les œuvres de David, par exemple, les modèles étaient souvent modifiés pour s’adapter à l’idéal de la beauté antique. Les visages étaient parfois simplifiés et rendus plus sévères, sans les imperfections humaines, afin de se rapprocher de l’idéalisme des statues grecques. Le modèle masculin, représenté dans une posture héroïque, pouvait ainsi incarner plus qu’une simple figure humaine : il devenait un héros mythologique, un personnage du passé, un symbole de vertu et de sacrifice. À l’inverse, le modèle féminin pouvait devenir une allégorie de la justice, de la liberté ou de la beauté, selon le contexte de l’œuvre.
Les proportions du corps étaient également sujettes à des transformations artistiques. Ingres, par exemple, dans sa Grande Odalisque (1814), a délibérément allongé les formes corporelles de son modèle pour renforcer l’aspect idéal du corps féminin. De même, les positions des modèles étaient pensées pour évoquer l’élégance, la grâce ou la force. Cette déformation des formes dans l’œuvre visait à exprimer des concepts plus profonds et universels que ceux de la simple réalité physique, et témoignait de l’ambition du néoclassicisme de dépasser la nature pour atteindre la perfection.
Les modèles et la subversion des normes classiques
Si les artistes néoclassiques cherchaient à respecter les idéaux classiques d’harmonie et de proportion, ils ne s’enfermaient pas toujours dans une stricte reproduction des canons antiques. Certains artistes, comme Ingres, ont joué avec les limites de la perfection classique en introduisant des éléments qui modifient subtilement la réalité du modèle. Ainsi, la transformation des modèles pour les adapter à l’idéalisme néoclassique peut parfois mener à une sorte de subversion des normes classiques.
Dans des œuvres comme La Grande Odalisque, Ingres utilise la distorsion des proportions corporelles pour susciter un effet esthétique particulier : les jambes de la figure féminine sont allongées et ses bras également, ce qui crée une sensualité plus palpable, mais aussi un décalage avec les standards classiques. Ce faisant, Ingres maintient une part d’imperfection qui rend son œuvre unique, tout en conservant l’idéal de la beauté classique. L’idéalisation n’est donc pas uniquement une fidélité à l’Antiquité, mais une réinterprétation de ces principes à travers le prisme du corps humain.
De même, les œuvres de David, tout en respectant une certaine rigueur classique, ont également permis d’expérimenter des relations complexes entre l’artiste, le modèle et l’idéal. Dans Le Serment des Horaces, les postures et les gestes des modèles sont rendus avec une telle force et une telle simplicité qu’ils vont au-delà de l’imitation des corps antiques. Les corps sont à la fois des représentations idéalisées de l’humanité et des symboles de la vertu et du sacrifice.
Le modèle, dans le néoclassicisme, devient un instrument précieux dans l’élaboration de l’œuvre artistique. Il est bien plus qu’un simple sujet à reproduire ; il est l’élément déclencheur d’une transformation esthétique visant à rendre l’idéal. L’artiste réinterprète le corps humain, le transforme et l’idéalisé pour le porter à la hauteur de la beauté classique. Cette relation entre l’artiste et son modèle fait écho à une recherche constante de perfection et d’harmonie, mais aussi à une volonté de subvertir subtilement ces mêmes idéaux pour exprimer l’émotion et la singularité propre à chaque œuvre.
La représentation des modèles dans la société et l’impact sur l’art du XIXe siècle
Le rôle des modèles dans le contexte néoclassique ne se limite pas uniquement à l’atelier ou à la production artistique. Ces figures, à la fois anonymes et célèbres, se retrouvent souvent au cœur des dynamiques sociales, culturelles et politiques de l’époque. Leur représentation dans l’art influence la perception publique du corps humain, de la beauté, et des rôles sociaux, et ce processus évoluera au fil du temps, avec un impact notable sur les changements artistiques au XIXe siècle.
Le modèle comme objet social et culturel
Les modèles de l’époque néoclassique occupent un espace particulier dans la société. En dehors de leur fonction dans l’atelier, ils incarnent des stéréotypes sociaux et culturels qui se rapportent à la beauté, à la classe sociale, à la vertu, et à la moralité. Les modèles, souvent issus de classes populaires ou de milieux modestes, sont perçus comme des objets d’inspiration pour l’artiste, mais aussi comme des symboles des idéaux sociaux que l’élite cherche à incarner à travers l’art.
Ainsi, le modèle masculin, fort et héroïque, peut être vu comme un reflet des valeurs républicaines et révolutionnaires, et la modèle féminine, quant à elle, est associée à une beauté idéalisée et à la pureté des figures mythologiques. Ces rôles renforcent, d’une certaine manière, les conceptions traditionnelles de la classe et du genre, tout en véhiculant les visions esthétiques et politiques de l’époque.
Les modèles, souvent anonymes, n’étaient pas toujours perçus comme des égaux ou des individus à part entière. Leur travail se faisait dans une relative invisibilité, car l’œuvre finale devait être considérée comme étant le fruit exclusif de la vision de l’artiste. Cependant, certains modèles, notamment ceux ayant eu une influence particulière sur des œuvres célèbres, accédaient à une certaine forme de célébrité. Ils devenaient les symboles de l’inspiration créative et parfois des icônes populaires dans la société.
Les peintures elles-mêmes, en représentant ces modèles, contribuaient à renforcer des normes sociales, mais elles avaient aussi un pouvoir de subversion, offrant une vision idéalisée du corps humain et des valeurs qui transcendaient souvent la réalité sociale.
Le passage à la représentation plus réaliste au XIXe siècle
Si le néoclassicisme cherchait avant tout à transcender la réalité et à rendre hommage à des idéaux antiques, le XIXe siècle a vu un changement de paradigme avec l’émergence du réalisme. Des peintres comme Gustave Courbet ont bouleversé cette tradition, s’éloignant de l’idéalisation pour rendre les modèles tels qu’ils étaient, dans leur réalité brute et parfois même avec leurs imperfections.
Ce passage vers le réalisme n’a pas seulement impliqué un changement de style artistique, mais également une nouvelle perception des modèles. Dans les œuvres de Courbet, tels que L’Origine du Monde (1866), le modèle n’est plus un simple vecteur de l’idéal esthétique mais devient un sujet qui revendique sa place, son corps et sa propre identité. Les femmes dans ses œuvres ne sont pas des figures mythologiques ou des déesses idéalisées ; elles sont représentées dans leur réalité physique, sans ornement ni embellissement.
De la même manière, d’autres artistes réalistes et impressionnistes ont continué cette évolution en rendant leurs modèles plus “terrestres”, les inscrivant dans des scènes de la vie quotidienne, comme le travail, la nature ou les moments intimes. Ces peintres ont bousculé les codes artistiques de l’époque en traitant le modèle non pas comme une figure symbolique, mais comme un être humain à part entière, avec ses particularités physiques et émotionnelles.
L’évolution du statut du modèle dans l’art et la société
Au XIXe siècle, et particulièrement dans la seconde moitié du siècle, la profession de modèle a commencé à se structurer, bien que l’image du modèle dans la société restait souvent celle de la subordination à l’artiste. Cependant, dans un contexte où la société évoluait rapidement sous l’influence de la révolution industrielle, de l’émancipation des femmes et des nouvelles sensibilités politiques, le modèle a progressivement acquis une place différente, parfois plus valorisée.
Les modèles, notamment féminins, sont devenus des figures emblématiques de la modernité et de la liberté. Avec les mouvements comme le romantisme et plus tard le mouvement réaliste, certains modèles ont commencé à revendiquer une place plus marquée dans la scène artistique. Leurs représentations dans les œuvres d’art devenaient des moyens d’ouvrir la voie à une exploration plus profonde de l’identité personnelle, de la sexualité et des rôles de genre.
Les artistes eux-mêmes ont progressivement pris conscience du rôle crucial des modèles dans l’élaboration de leur œuvre et ont commencé à leur accorder plus d’importance. Si l’artiste restait le créateur, le modèle devenait un collaborateur essentiel qui apportait son propre corps et son caractère, donnant une dimension plus humaine et individualisée aux œuvres.
Le statut et la représentation des modèles ont profondément évolué tout au long du XIXe siècle, passant d’une simple fonction décorative et idéalisée à un rôle plus complexe, souvent plus humain et réaliste. Alors que le néoclassicisme insistait sur l’idéalisation et l’incarnation des principes esthétiques, le réalisme a permis d’ouvrir l’art à une représentation plus fidèle et plus complexe des corps et des individus. Les modèles, qu’ils soient célèbres ou anonymes, sont devenus des acteurs essentiels dans l’élaboration de l’œuvre d’art, participant à l’évolution de l’art et de la société au XIXe siècle. Leurs corps, qu’ils soient magnifiés ou simplement représentés dans leur réalité, reflètent les tensions esthétiques et sociales de l’époque, tout en incarnant les transformations profondes qui ont marqué cette période.
Les modèles dans la transition vers l’art moderne : de la fin du XIXe à la première moitié du XXe siècle
Au tournant du XXe siècle, l’art a connu des transformations profondes avec l’émergence de nouveaux courants tels que l’impressionnisme, le cubisme, et d’autres mouvements avant-gardistes. L’évolution du statut et de la représentation des modèles continue de jouer un rôle crucial dans l’art moderne, tout en bousculant encore davantage les normes établies par le néoclassicisme et le réalisme. Les artistes, désormais moins attachés à des conventions esthétiques strictes, ont offert de nouvelles façons d’interpréter le corps humain, souvent au service de leur quête de vérité, de subjectivité, et d’expérimentation.
La transformation du modèle dans l’impressionnisme
L’impressionnisme, qui a émergé dans les années 1860-1870, a bouleversé les conventions de la peinture en remettant en question la manière traditionnelle de représenter la lumière, la couleur et, bien sûr, les figures humaines. Les artistes comme Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, et Édouard Manet ont remis en question la peinture académique et l’idéalisation des modèles, en se concentrant sur des représentations plus immédiates et plus naturelles.
Les modèles dans l’impressionnisme ne sont plus des figures idéalisées ou mythologiques ; ils sont désormais des sujets de la vie quotidienne, issus des classes populaires, souvent capturés dans des instants fugaces, en plein mouvement. Ces représentations mettent l’accent sur la spontanéité, la lumière et la couleur plutôt que sur la perfection ou la statue figée du corps humain. Par exemple, Renoir, dans ses portraits de femmes, a représenté des modèles au quotidien, en les plaçant dans des environnements naturels ou domestiques.
L’impressionnisme a aussi cherché à capturer les effets de la lumière sur les corps, ce qui a permis d’expérimenter une représentation moins figée et plus dynamique des modèles. Les contours du corps étaient moins définis, l’importance donnée aux ombres et aux variations de couleurs accentuait l’aspect instantané et éphémère des scènes.
L’avènement de la modernité et la révolution du corps dans l’art
Avec l’arrivée du XXe siècle, les avant-gardes artistiques, telles que le cubisme et le surréalisme, ont radicalement réinterprété le corps humain et les modèles. Les peintres comme Pablo Picasso, Georges Braque, et Salvador Dalí ont abandonné la représentation naturaliste pour se concentrer sur l’abstraction, la fragmentation, et l’expression de la subjectivité individuelle. Le modèle humain, loin d’être une figure idéale ou réaliste, est devenu un objet d’expérimentation plastique.
Le cubisme, par exemple, a déconstruit la représentation du corps, le morcelant en formes géométriques et en perspectives multiples. Le modèle, dans ce contexte, n’est plus une figure continue mais une multiplicité de vues simultanées qui interrogent la perception. Dans l’œuvre de Picasso, les modèles étaient souvent des figures fragmentées, où le corps humain était réarticulé dans un espace dynamique et fragmenté, un reflet de la complexité croissante de la vision artistique du monde.
Le surréalisme, de son côté, a abordé la figure du modèle avec une autre forme de subversion, en introduisant des éléments du rêve et de l’inconscient. Les modèles étaient souvent des représentations idéalisées mais également dérangeantes, déformées ou subordonnées à des réalités psychologiques profondes. Le corps humain, désormais déformé par l’imaginaire, devenait un terrain d’exploration pour exprimer les aspects inconscients, l’irrationnel et le fantasme.
Le modèle comme objet de désir et de révolte
Le début du XXe siècle a également vu une autre transformation dans la façon dont les modèles étaient perçus dans la société. Dans les œuvres de nombreux artistes modernes, les modèles féminins, en particulier, sont souvent représentés à la fois comme des objets de désir et de révolte. Le corps féminin est plus que jamais un champ de bataille pour les artistes qui cherchent à représenter la féminité, la sensualité, mais aussi la soumission ou l’émancipation.
Le modèle féminin a progressivement gagné en autonomie et en subjectivité, bien qu’il reste toujours en tension avec les représentations sociales et artistiques de l’époque. Les modèles des artistes comme Egon Schiele ou Gustav Klimt sont souvent sexualisés, mais dans un sens qui les humanise et les montre sous des angles très personnels, parfois dérangeants, loin des conventions du corps féminin idéalisé.
Les modèles ne sont plus de simples véhicules de la beauté, mais deviennent des métaphores de l’angoisse, du désir et du changement social. Les artistes commencent à jouer avec la sexualité, le nu, et la transgression, en intégrant ces thèmes dans leurs œuvres comme moyens de questionner la morale et les normes sociales.
À l’aube du XXe siècle, le statut des modèles dans l’art moderne évolue considérablement. Alors que le XIXe siècle était marqué par des représentations plus idéalisées et réalistes des corps, le début du XXe siècle voit une révolution dans la manière de traiter ces corps, passant de l’abstraction à la déconstruction. Les modèles, toujours présents dans les ateliers d’artistes, deviennent des objets de transformation, d’expérimentation, et de réflexion sur la nature humaine, la subjectivité, et les nouvelles perceptions sociales. Les artistes de cette époque ont redéfini les frontières entre le réel et l’imaginaire, l’idéal et la réalité, en plaçant le modèle au centre de leurs recherches esthétiques et philosophiques.
Conclusion
L’histoire des modèles de peintre, des classiques aux artistes modernes, révèle une évolution marquée par des bouleversements dans la représentation du corps humain, les idéaux de beauté et les relations sociales entre les artistes et leurs sujets. Du néoclassicisme au romantisme, en passant par le réalisme et l’impressionnisme, les modèles ont joué un rôle central, non seulement en tant qu’instruments de la créativité artistique, mais aussi comme acteurs de leur époque, incarnant les tensions entre l’idéal et la réalité, le corps et l’esprit, la beauté et la vérité.
Au XIXe siècle, les modèles féminins et masculins ont progressivement quitté l’ombre des ateliers pour devenir des symboles de la transformation artistique et sociétale. Si, au début, leur représentation répondait à des idéaux esthétiques et moraux hérités des traditions classiques, les avant-gardes du XXe siècle ont radicalement modifié leur rôle. L’art moderne, avec des mouvements comme le cubisme, le surréalisme, et le réalisme, a permis une plus grande liberté d’expression, et les modèles, qu’ils soient mythologiques ou réalistes, ont été déconstitués, interrogés, et humanisés.
Ainsi, les modèles de peintre, loin d’être de simples supports passifs, sont devenus des protagonistes, aux multiples facettes et contradictions, qui ont permis à l’art de se réinventer tout en donnant un éclairage particulier sur les normes sociales, culturelles et politiques de chaque époque. Ces transformations continuent d’influencer la perception de l’art aujourd’hui, montrant combien les corps, qu’ils soient peints, sculptés ou photographiés, restent au centre des débats esthétiques, philosophiques et sociaux.
Au-delà de l’histoire de l’art, l’histoire des modèles nous invite à reconsidérer les relations entre l’artiste et son sujet, et à réfléchir sur les manières dont les représentations corporelles façonnent, et sont façonnées par, les sociétés au fil du temps. Le modèle, qu’il soit un simple objet d’inspiration ou un être humain complexe, continue de porter des significations et des enjeux artistiques, sociaux et culturels toujours pertinents aujourd’hui.
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