Le ministère des affaires étrangères transformé en île
Le ministère des affaires étrangères transformé en île : lorsque la Seine en crue entoure le monument en 1910
Bien connu par sa localisation, le Quai d’Orsay, le ministère des Affaires étrangères est un grand bâtiment imposant, et dominant la Seine. Situé entre l’Hôtel de Lassay, résidence du président de l’Assemblée nationale et l’esplanade des Invalides, ce ministère fait partie des grands palais de la République.
Toutefois, cette implantation, prestigieuse, se transforma en véritable piège lors de la crue en 1910
En relisant la presse effondrée de ces jours, revivons cette catastrophe !
Premières infiltrations de l’eau
Quatre jours après le début de la crue de la Seine, on rapporte des premières infiltrations dans les caves du ministère des Affaires étrangères. Echo de la part du journal La Lanterne, le 23 janvier 1910 :
« Quant aux abords plus immédiats du fleuve, ils ont été particulièrement éprouvés. Les caves du ministère des affaires étrangères sont inondées. Des caves sont inondées également rue de Bièvre et on appelle les pompiers. »
Certes la situation n’est pas encore inquiétante, mais l’eau arrive. Ces infiltrations ne sont pas à prendre à la légère. En effet, les caves contenaient les calorifères, destinés à chauffer les bâtiments. Cette partie touchée, cela signifiait alors, arrêt du chauffage, particulièrement important en ce mois de janvier, touché par des épisodes de neige.
Formation d’un lac dans la rue de l’Université
L’autre faiblesse de Paris lors des épisodes des crues était son réseau d’égout. En effet, au lieu de servir à leur évacuation, les égouts favorisaient les remontées d’eau dans la ville. Avec la montée de la Seine, la pression augmentait dans les conduites, aboutissant à des ruptures.
C’est ce qui se passa le 24 janvier 1910, au niveau de la rue de l’Université, comme le signale le Radical : « Rue de l’Université, devant le ministère des Affaires étrangères, il s’est formé un véritable lac »
La Lanterne du 26 janvier 1910 poursuit : « A 5 heures du soir, un lac s’est formé derrière le ministère des affaires étrangères par suite du débordement des égouts. »
Montée des eaux au niveau de la chaussée
Chaque jour se traduisait alors par la montée des eaux de la Seine. Par endroit, l’eau progressait. Cependant, située plus bas que le quai, la ligne de chemin de fer des Invalides, fut rapidement submergée. Le flot remonta ensuite, arrivant dans la gare des Invalides.
Autre zone de faiblesse : le chantier du métro du Nord Sud, reliant Auteuil à Saint Lazare. Depuis, les premiers jours de la crue, le tunnel était totalement inondé, suite d’une rupture d’égout à la station Assemblée nationale. Il passait au niveau du ministère également.
Le Petit Parisien décrit le 27 janvier 1910 le désastre :
Aux affaires étrangères
La gare des Invalides, envahie par l’eau jusqu’à la hauteur du sol, constitue un danger réel pour la partie du ministère des affaires étrangères en façade sur la rue de Constantine. »
« Lamentable est l’aspect général du monument froid, à peine éclairé, dans lequel on n’accède plus que par une grille du quai. L’eau, qui émerge en cascade tumultueuse, de la gare des Invalides, arrive dans la cour jusqu’à quelques mètres du perron du ministre ; elle se répand ensuite dans la rue de l’Université et isole le ministère des deux côtés. »
Evacuation d’une grande partie du ministère
Rapidement, on décide d’évacuer les lieux. Le Petit Parisien écrit :
« Cet immense bâtiment, dont la construction ne remonte pourtant qu’à une soixantaine d’années, fut toujours considéré comme d’une solidité contestable. Les travaux de la ligne métropolitaine d’Auteuil à l’Opéra, effectués sous la rue de Constantine achevèrent, ces temps derniers, de compromettre l’édifice qu’on dut étayer sur divers points. Si l’écroulement redouté de la gare des Invalides venait à se produire, le bâtiment en question se trouverait en grand danger.
Le ministre des affaires étrangères, après avoir pris l’avis de MM. Nénot et Chedame, architectes du gouvernement, a donc prescrit, hier matin, l’évacuation de tous les bureaux installés dans cette partie du ministère. Le directeur des affaires politique, M. Bapst, qui y loge, avec sa famille, est allé chercher refuge dans un hôtel du voisinage, et son bureau a été transporté dans un des salons du ministre. Les employés ont été licenciés jusqu’à nouvel ordre. »
De son coté, le Matin conclut :
« Comme les intérêts privés, les grands services publics sont en souffrance. Le ministère des affaires étrangères a dû faire évacuer tous ses bureaux. Seul le ministre reste encore, avec son cabinet et ses secrétaires. »
De drôle de bulles d’air
Une scène étrange attire l’attention des passants comme l’écrit le Petit Parisien
« A travers des fissures du trottoir de la façade, des bulles d’air s’échappent non sans intriguer les passants : c’est l’air comprimé que la Compagnie du métro envoie dans la ligne inachevée Auteuil Opéra en vue de refouler les eaux et de parer à un effondrement. Mais malheureusement, l’usine qui produit cet air comprimé est elle-même menacée et cette mesure ne pourra sans doute pas être continuée pendant longtemps. »
L’eau poursuit son inéluctable chemin, au travers de la rue de l’Université, rejoignant ensuite la place du Palais Bourbon
Sources bibliographiques :
- La Lanterne du 23 janvier 1910
- Le Radical du 25 janvier 1910
- La Lanterne du 26 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 27 janvier 1910