La Maison Brousse
La Maison Brousse : le spécialiste du cachemire qui faisait totalement sensation dans les années 1830 – 1840.
A l’angle de la rue Feydeau et de la rue de Richelieu, une boutique faisait sensation dans la première moitié du XIXe siècle. Là, notamment au cours de la Monarchie de Juillet, la Maison Brousse proposait des cachemires dont elle avait une totale exclusivité. Sa position lui permettait de revendiquer le patronage de la famille régnante, mais elle ne négligeait pas les efforts pour toujours faire venir les parisiennes et les élégantes entre ses murs.
L’histoire de la Maison Brousse que nous allons vous conter, c’est bien sûr celle de l’amour pour le cachemire, mais aussi des liens et la fascination pour l’Asie et de méthodes de vente qui évoluent alors.
Une maison spécialisée dans les cachemires
La Maison Brousse revendiquait des produits exceptionnels. Son propriétaire avait constitué son réseau avec les pays d’extrême Orient pour s’approvisionner. Dans cet esprit, la Journal de Paris écrit le 28 décembre 1837 :
« M. Brousse est en rapport direct avec les principaux fabricants de Delhi et de Bombay : aussi trouve-t-on chez lui tout ce qui se fait de plus remarquable et de plus nouveau en cachemires. Il avait dans la même corbeille un de ces magnifiques crêpes de Chine, article spécial à cette maison que tous les journaux de modes signaient comme le complément obligé d’une toilette élégante, et plusieurs robes de cachemires brodées et de soie également distinguées. »
Brousse avait ses propres entrées en Orient. Contrairement à la plupart des vendeurs de cachemire alors, il jouissait de la possibilité d’importer ses propres marchandises, sans passer par la Compagnie britannique des Indes qui régissait ce commerce.
« J.-B. BROUSSE est le seul qui reçoive, au renouvellement de chaque saison, de Bombay et de Lahore, une grande quantité de châles cachemire des Indes, longs et carrés, de la plus grande beauté, ses maisons dans ces contrées lointaines, le placent dans une position unique à Paris ; il n’est point tributaire de la Compagnie des Indes-Orientales à Londres, qui ne livre au commerce français que des marchandises inférieures. N’ayant aucun droit à payer au gouvernement britannique, les Cachemires de Brousse, quoique supérieurs en qualité, sont vendus à des prix plus doux que dans tous les autres magasins de Paris. » Le Constitutionnel du 29 avril 1844.
Cette position lui donnait la possibilité d’avoir des pièces uniques, qu’on ne trouvait pas ailleurs et probablement une meilleure rentabilité. Cela supposait aussi d’avoir ses propres chaînes d’approvisionnement et de pouvoir les utiliser. Aussi tout arrivage faisait l’objet d’une mise en avant particulière. A cet effet, nous signalons le Siècle du 15 décembre 1840 :
« JB Brousse, propriétaire des magasins de la Caravane, rue Richelieu, 82, vient de recevoir de sa maison de Bombay, plusieurs caisses de cachemires des Indes, parmi lesquelles on distingue deux châles longs bleu de ciel pur, d’une rare beauté et d’un travail admirable. »
La France du 30 janvier 1842 décrit plus en avant le magasin :
« Ici c’est un superbe cachemire indien fond blanc, relevé par des rosaces ou des palmes éclatantes comme autant de bouquets semés sur la neige. Là, c’est un fond bleu ciel pur, cette nuance si rare qui n’a encore pu être découverte que chez Brousse. Plus loin, un fond mélangé dont la couleur serait bien difficile à définir, mais qui est d’un goût et surtout d’une nouveauté remarquable ; le dessin est du moins aussi original que le fond. Mille nuances, enfin, mille dessins qui éblouissent et qui, au sortir de là, passent et repassent dans votre esprit comme devant vos yeux, les mille combinaisons du kaléidoscope. Et tout cela se change cl se renouvelle chaque jour. Les dispositions qu’on indique aujourd’hui vous ne les trouverez peut-être plus demain ; elles auront été enlevées ou expédiées par M. Brousse, pour d’élégantes toilettes ou de riches corbeilles, à Saint-Pétersbourg ou à Madrid ; car les magasins de la Caravane et les fabriques de M. Brousse sont connus à l’étranger comme dans les départements et à Paris. On conçoit très bien ce succès quand on a visité les salons de la Caravane, et, tout en regrettant de ne pouvoir consommer en France tous les innombrables produits des fabriques de M. Brousse, on est heureux de voir ainsi honorer à l’étranger notre industrie française. »
Une envie d’exotisme
Dans ce années 1830, la France est prise par une forte attirance par l’exotisme et est fascinée par les pays d’Orient. Cela se retrouve dans de nombreux tableaux présentés au Salon alors. Aussi les cachemires d’Asie ne peuvent que plaire alors. On conte dans les journaux des histoires de ce lointain. Ainsi, nous avons identifié cette histoire publiée dans la Presse du 18 octobre 1838 :
« A 85 milles de Smyrne, s’élève une ville célèbre dans les légendes de l’Orient par les amours malheureux du prince Kosrew et de la belle Schyrin, la fille aux yeux noirs. Cette ville c’est Balukhissar avec ses vastes bazars, ses riches mosquées, ses maisons en bois et sa rivière dont les eaux paisibles, après avoir quitté le lac de Bigha, arrosent et fécondent de belles prairies et vont se perdre au pied du Jounous-Dagh ou du mont Padaxus. La ville occupe une circonférence d’environ trois milles. A six milles au sud on rencontre un établissement de bains d’eau minérale, dont la température est d’environ 37° Réaumur ; les eaux contiennent du gaz acide sulfurique, et sont renommées pour leurs propriétés médicinales dans les maladies cutanées et les rhumatismes.
C’est dans cette ville que chaque année se tient l’une des foires les plus considérables de l’Orient »
Balukhissar, c’est Kaboul en Afghanistan ! C’était le nom de la forteresse au centre de la ville.
Et on découvre à cette occasion que M. Brousse y avait ses entrées : « la foire s’ouvre le 15 août, sous la présidence d’un bazarguian bachi que Brousse possède le privilège d’y envoyer chaque année ».
« Alors de longues caravanes de chameaux et de mules, dont le cou orné de clochettes retentissantes rappelle les arrieros de l’Espagne, couvrent les routes ombragées de beaux arbres qui aboutissent à la ville. Ces caravanes viennent de toutes les parties de l’Asie ; et plus de vingt-cinq mille individus se concentrent dans l’enceinte de la ville ou dans ses environs. Le spectacle que présente cette multitude attirée par l’esprit de spéculation et l’appât du gain est fort curieux. Rien de si pittoresque que cette variété de costumes, ces physionomies affairées ou placides qui se meuvent dans les rues de la ville, ou qui se tiennent gravement dans leurs boutiques. C’est là surtout le caractère qui distingue les bazars occupés par les Turcs ; on dirait que le Musulman, qui, de tous les peuples, possède encore les mœurs les plus simples, est tellement persuadé de la bonne qualité de sa marchandise, que tout effort pour attirer à lui les chalands est inutile. Au contraire, dans la portion du marché réservée aux Juifs, un continuel bourdonnement ne cesse de se faire entendre ; le Juif emploie la voix et le geste pour attirer l’attention de ceux qu’à une simple inspection, à un coup d’œil rapide, il a reconnu devoir lui offrir quelque bénéfice. Les Arméniens et les Grecs tiennent les deux extrêmes. La physionomie des premiers, variée et mobile, offre dans ses traits toute la finesse que l’on remarque chez les Grecs patients, économes, infatigables, on les retrouve partout ; ils sont négociants, banquiers, fournisseurs et d’ordinaire, par l’appui qu’ils se prêtent mutuellement, par les nombreuses relations qu’Us sont parvenus à établir, ce sont eux qui savent faire le mieux leurs affaires. »
Pour aller plus loin dans ce récit, n’hésitez pas cliquer sur le lien présent dans les sources bibliographiques (ou ici) !
Le retour de la mode des cachemires
Aussi, dans ce contexte d’envie d’exotisme, de constitution d’empires coloniaux, notamment suivant l’exemple anglais, même si à cette époque, l’Inde n’est pas encore totalement conquise, les cachemires attirent à nouveau les parisiennes. La France du 30 janvier 1842 nous en donne une illustration :
« Depuis quelques années les cachemires tant indiens que français ont été singulièrement négligés en France par nos élégantes. Le mantelet, le châle de soie et la pelisse ont trôné malheureusement trop longtemps ; mais les femmes bien faites ont enfin reconnu combien ces surtouts d’un autre âge sont lourds et disgracieux ; elles ont compris que toutes les tailles devenaient égales sous une pelisse, tandis que le tissu souple et soyeux d’un cachemire rend à chacune ce qui lui appartient. Cette sorte de discrédit du cachemire avait découragé plusieurs fabricants qui ont abandonné la partie. Quelques autres n’ont pas désespéré et ont au contraire travaillé au perfectionnement de celle industrie. Le moment est venu de signaler leurs travaux et de les remercier. »
L’appui de la duchesse de Nemours
Toutefois, en cette période de la Monarchie de Juillet, le tout Paris a les yeux rivés sur ce qui se passe aux Tuileries. Louis Philippe est sur le trône et sa famille donne le la pour la mode.
Une femme est particulièrement suivie. Depuis son mariage en 1840 avec Louis d’Orléans, le second fils de Louis Philippe, Victoire de Saxe Cobourg Gotha est devenue la duchesse de Nemours. Elle était particulièrement réputée pour sa beauté. Tout ce qu’elle faisait était regardée ! Aussi, pour la Maison Brousse, sa reconnaissance était importante comme la France le rapporte le 30 janvier 1842 :
« Au nombre de ces courageux industriels et en première ligne, on doit citer M. Brousse, fabricant breveté et fournisseur de Mme la duchesse de Nemours. Rien de plus beau et de plus curieux à visiter que les magasins, on pourrait presque dire le musée de châles que M. Brousse a établi rue Richelieu,82, à la Caravane. Tout en songeant au bon marché, ce nouveau Dieu des industries modernes, il a pensé avant tout à produire du beau et du solide ; aussi quelle supériorité de qualité, quelle richesse et quelle inépuisable variété dans les dessins et dans la disposition des nuances ! »
La publicité dans les années 1830
Dans les années 1830, la publicité ne se faisait pas à l’aide d’encart illustré dans les journaux, mais à l’intérieur d’articles.
Les recommandations
Alors on se faisait recommander au sein des journaux. Ainsi que nous l’avons retrouvé dans le Journal de Paris du 28 décembre 1837, cela pouvait se traduire de manière assez directe :
« Parmi les nombreux magasins qui se recommandent aux donneurs d’étrennes riches et élégantes, il faut placer ceux de Brousse, rue Richelieu, 82, à la Caravane, qui réunissent, en objets de nouveautés pour la toilette des dames, tout ce que le génie de nos fabricants imagine de plus élégant et de plus coquet. Nous avons vu récemment dans ces magasins une corbeille de mariage destinée à Mlle de R…., qui renfermait, outre une foule d’autres objets précieux, quatre robes de velours magnifiques, et deux achalés cachemires auxquels il n’y a rien à comparer pour la finesse des tissus, l’originalité des dessins, la richesse et l’éclat des couleurs. »
Dans le Temps du 22 avril 1839, un chroniqueur écrit :
« Je crois avoir déjà dit un mot des charmantes étoffes dont a fait collection M. Brousse. Les taffetas chinés, les foulards brodés, les foulards imprimés à dessins inconnus, les mousselines cachemires, vrais tissus de l’Orient ; les poils de chèvre brodés, sont autant de charmantes demi-toilettes d’un goût parfait.
Prochainement je parlerai avec détail des robes de fantaisie pour toilette du soir. »
De l’usage de la mise en avant lors de riches mariages
Ensuite, pour mettre en avant la qualité des marchandises, les maisons de nouveautés se mettaient en avant, lors de fêtes comme des mariages princiers ou de haute famille. Ces moments devaient tenir le rôle de défilé, que les journaux commentaient ensuite. Nous lisons ces quelques lignes dans le Temps du 21 janvier 1839 :
« Les châles de cachemire eurent à eux seuls un succès prodigieux. Brousse avait choisi, pour ce riche mariage, parmi ses plus nouvelles richesses, et deux châles faisant partie d’un envoi tout récent furent non seulement remarqués, mais admirés avec enthousiasme. L’un, carré, bleu-louise, entouré d’une double bordure d’un dessin fin et compliqué comme une mosaïque Les nuances orange, rose-turc, se détachent brillantes sur des fonds puce, chocolat ; les fleurs, en bouquet, en guirlande, tombent légèrement sur des médaillons composes comme des vitraux On ne conçoit pas comment un travail aussi délicat peut obtenir des effets aussi apparentent aussi précis. Sur le fond d’une teinte bleue délicieuse s’élancent des gerbes légères, en fusées, dessin tout à fait indien.
L’autre, long, vert émeraude, bordé par de hautes palmes de plusieurs couleurs est une complication surprenante de serpents, de rubans t avérant les palmes que surmontent par place un petit Chinois ou un oiseau très distinct. La deuxième galerie, celle qui se détache sur le fond d’une manière limpide et fraîche, est la répétition de la principale galerie. Cet ouvrage est un des plus beaux qu’ait encore eus la maison Brousse, qui, du reste, vient de recevoir un magnifique envoi de son correspondant aux Indes. Nous avons eu occasion de nous en convaincre la semaine dernière au mariage de Mlle de la F. de Melle des G., de M. P. ; corbeilles parfaitement entendues, composées avec un luxe raisonnable, une élégance de bon goût. »
La vente par exposition
Afin d’attirer les clients, quoi de mieux que d’organiser des événements ! Finalement, c’est l’objectif des grandes promotions, de grands rendez-vous annuels, des opérations commerciales !
Dans les années 1830, les magasins avaient recours à cette approche, afin de montrer leurs nouveautés. En vous partageant ces lignes publiées par le Temps du 7 mai 1839, nous vous proposons de nous plonger dans l’ambiance d’une exposition organisée par la Maisons Brousse !
« Nouvelles magnificences à la Caravane. Je ne saurais dire en vérité comment une nouvelle peu importante en apparence a de promptitude à se répandre dans ce monde parisien, toujours instruit à temps de ce qu’il doit savoir. Jeudi de la semaine dernière je m’étais rendu, en connaisseur curieux, au magasin de la Caravane pour y assister à la merveilleuse exhibition des nouveaux châles envoyés à M . Brousse. Je crois ne pas me tromper en disant que ces beaux châles viennent en France par les soins du général Allard ; ce qui est certain, c’est qu’il n’est encore arrivé rien d’aussi magnifique, c’est que nous devons douter voir quelque chose de plus beau.
Brousse a un bonheur des plus constants pour rencontrer de ces nouveautés saillantes qui font les honneurs de toute une saison. Lorsqu’une étoffe, un châle de fantaisie, un caprice de toilette ont fait une sensation profonde en bon lieu, on peut facilement nommer M. Brousse pour son auteur. Aussi est-ce chez lui que, pour la première fois, l’on a admiré ces magnifiques tissus indiens à pagodes et à semés d’oiseaux qui, cet hiver, ont éclipsé tous les anciens dessins.
Mais j’en reviens à la station d’élégantes voitures que l’on remarquait jeudi devant les magasins de la Caravane. Personne n’y nul regret, car rien n’est cieux, rien n’est d’une originalité aussi distinguée que deux châles persans : l’un est vert émir, l’autre bleu saphir, d’un tissu soyeux, d’une richesse de dessins, d’une perfection que nous avons ignorée jusqu’ici. M. Brousse nous a accoutumés à bien des merveilles, mais jamais ses magasins n’ont offert de semblables trésors, chefs-d’œuvre d’industrie artistique. »
Juste avant la révolution de 1848, la Maison Brousse déménage. L’Esprit public du 20 novembre 1846 écrit :
« Changement de domicile pour cause d’agrandissement
Maison Brousse, Fournisseur de Son Altesse Royale, Madame la duchesse de Nemours
Les magasins des cachemires des Indes et de France, de la caravane, qui étaient situés, rue de Richelieu, 82 au coin de la rue Feydeau, sont transférés maintenant dans la Maison neuve, à côté, rue Richelieu, 84. »
Nous n’avons plus trouvé de trace dans les publicités de cet établissement, sous ce nom. La Monarchie de Juillet qui avait été une période faste pour la boutique est arrivée à son terme.
Sources bibliographiques :
- Le Journal de Paris du 28 décembre 1837
- Le Temps du 21 janvier 1839
- Le Temps du 7 mai 1839
- La Presse du 18 octobre 1838
- Le Temps du 22 avril 1839
- Le Siècle du 15 décembre 1840
- La France du 30 janvier 1842
- Le Constitutionnel du 29 avril 1844
- L’Esprit Public du 20 novembre 1846