La langue française du genre poissard
La langue française du genre poissard était inspirée du patois parisien et donnait une authenticité populaire aux œuvres et aux récits
Créé au cours du XVIIIe siècle, le genre poissard voulut mettre en scène le peuple parisien, celui des Halles et des rues. Ses principaux auteurs, JJ Vadé et Lécluse cherchèrent en effet à lui donner un côté authentique qu’on retrouve dans la langue utilisée.
Au-delà de sa capacité à toucher le langage réel historique, revenons sur la langue française du genre poissard ! Pour cela, nous nous appuierons sur les traits qui ressortent des principales œuvres : La Pipe cassée, le Discours de la Rapée…
Frappant enfin de constater en relisant ces œuvres, les deux registres de langues : celui de la narration correspondant au français que nous connaissons et celui parlé par les personnages : le français poissard.
Un français poissard délibérément utilisé dans ces œuvres pour leur donner plus de saveur
Au début de la Pipe Cassée, Jean Joseph Vadé lance un avertissement. En effet, pour l’intérêt de la pièce, il invite les acteurs à adapter leur ton :
« Il faut que pour l’agrément du débit, avoir l’attention de parler d’un ton enroué, lorsque l’on contrefait la voix des acteurs ; celles des actrices doit être imitée par une inflexion poissarde et traînante à la fin de chaque phrase. »
La conjugaison
Quelques traits de conjugaison spécifiques frappent le lecteur sur la langue française du genre poissard.
En effet, à la première personne du singulier, les poissards utilisaient la conjugaison de la première personne du pluriel : « Avons je pas une salade ? » « Avons je du vin ? » «j’ n’entendons pas l’latin » « J’aimons »
Ensuite, pour ce qui concerne la seconde personne du singulier, le –s- final disparait : « tu t’effarouche », « tu te pame », « Voi toi-même ! » « ne t’avise pas d’approcher »
Quelques modifications de lettres
Comme dans le patois parisien, certaines lettres étaient modifiées par d’autres. Ainsi le –e- pouvait être remplacé par le –a- (Jarôme pour Jérôme, varrais pour verrais, varsez pour versez, le darrière pour le derrière) ou en –i- (cirveau pour cerveau, mantiau pour manteau). C’était aussi le cas pour le –r- en –x- : le docteux. Le –t- remplaçait le –d- (crapaut pour crapaud).
Le couple -er- pouvait être substitué par -oy- (« envoyont » pour « enverront ».
Dans d’autres cas, le –z- était rajouté : « zamicalement » « Zà sa santé ». « Zau guet » « C’est que tu zhausse en haut ton verre. »
Le –y- pouvait l’être aussi « Voulez vous boire ya la santé du Roi couvert de gloire ? »
Apostrophe et rétrécissement de mots
Le parisien à cette époque avalait les lettres. Aussi, cela se mettait en valeur dans l’usage des apostrophes : « vous v’là donc. ». Mademoiselle se transformait en Man’zelle.
Certaines lettres pouvaient aussi être retirées totalement :
- « li » au lieu de « lui »,
- « Combin » pour « Combien »,
- « note Seigneur » pour « notre Seigneur ».
- « Ca nous fera ben de l’honneur »
- « quand t’auras des enfans »
- « menteu »
- « tu gnais pû »
Le niveau de la langue française du genre poissard
Dans ces écrits, les personnages s’haranguent et s’alpaguent en permanence. Ils se querellent. Aussi, il est nécessaire que dans les textes ces insultes ressortent bien :
- « Va-t’-en, chien… »
- « Sarqueurgué tu me le paieras. »
- « Sac à vin »
- « Gueuse à crapauds »
S’inscrivant enfin dans les principes du genre, cette forme de langue était rédigée en vers. Les rimes, également, n’étaient souvent pas très riches.
Quelques expressions
Voici pour finir, quelques expressions étonnantes de la langue française du genre poissard, reprises dans les œuvres de Vadé et Lécluse
« Nicole, ne cherchons pas noise ».
« Faire un ample gueuleton ».
« une grosse volaille est autant qu’il faut de mangeaille. »
« Tu veux toujours gouayez les autres ».
« acheminer sans voir goutte ».
« Le travail, les soins et la peine furent faits pour la gent humaine. »