L’incendie des forêts en 1870
L’incendie des forêts en 1870 : la région parisienne s’embrase pour détruire les possibles caches et couverts
A la fin du XIXe siècle, la région parisienne était, comme aujourd’hui couverte de nombreuses forêts. C’était du reste des endroits courus en temps de paix, à la fois pour les ouvriers pour leur promenade mais aussi pour les plus nantis et leurs fameux déjeuners sur l’herbe.
Cependant, ces havres de paix et de nature furent considérés à mesure que les Prussiens s’approchaient de Paris, comme une menace. Pour la défense de la ville, les français refusaient que leurs assaillaient trouvent dans les treillis des lieux de protection des feux lancés des forts à proximité.
Quelle solution pour faire face à cette menace ? Le gouvernement de défense nationale n’hésita pas longtemps : le feu !
La décision du gouvernement
Pour démarrer cet article, nous relayons une communication dans le Petit Journal du 12 septembre 1870. « Le président du Gouvernement de la défense nationale, gouverneur de Paris et commandant l’état de siège,
Considérant que les forêts, bois et portions de bois qui environnent Paris sur toute l’étendue de son périmètre, offrent à l’ennemi des couverts dont il se servira infailliblement pour masquer le mouvement de ses armées, pour arriver à l’abri jusqu’à portée des fortifications, pour préparer des ateliers de fascinage et de gabionnage en vue du siège de la capitale.
Convaincu que la nation ne reculera devant aucun effort pour faire son devoir et que Paris veut donner au pays l’exemple des grands sacrifices. »
Une vue apocalyptique en haut de la butte Montmartre
Le 15 septembre, le Petit Journal poursuit sa description de ces incendies à partir de la hauteur de la butte.
« Hier soir, du haut de la butte Montmartre, au pied de la tour de Solférino convertie en observatoire, de nombreux Parisiens ont assisté à un terrible et imposant spectacle. Une longue ligne de feu s’étendait à l’horizon, d’un point que nous avons présumé être Argenteuil à un autre point qui doit être Rosny.
Les masses sombres des petits bois, qui embellissaient hier encore cette région des environs de Paris, étaient -éclairées des lueurs rouges de l’incendie. Tantôt la flamme montait claire, en colonne, et embrasait le ciel tantôt elle rampait sur le sol, et se faisait comme une voûte d’ombre, des masses épaisses qui la dominaient et que le feu n’atteignait pas encore.
On reconnaissait les petits bocages où tant de laborieux Paris ont élevé péniblement les maisons de maisons de campagne où hier encore ils allaient se reposer le dimanche. De tout cela, il ne restera qu’un amas de cendres ! On se sentait le cœur serré en entendant répète les noms de tous ces endroits connus Avron, Bondy, Bobigny. Ce sont les premiers sacrifices faits à la défense nationale par les Parisiens ! A bientôt ; les autres. »
Et qui se poursuit pendant plusieurs journées
Le 19 septembre, le spectacle en haut de Montmartre reste bien rouge
« Hier, on a brûlé les bouquets de bois aux alentours de Saint-Denis. Les flammes se propageaient avec rapidité aux abris pouvant être utilisés par l’ennemi.
Du haut de Montmartre, on pouvait apercevoir dans la plaine les meules de foin e de fourrages qui brûlaient également, remplissant campagne d’une épaisse fumée C’est leur moyen de faire le vide au tour de Paris.
Hier, vers huit heures du soir, nous avons gravi le mons Martyrii, vulgairement appelé Montmartre. On nous était venu dire que tout l’horizon était embrasé.
Ayant atteint le point culminant du versant septentrional de la butte, tout près d’une des batteries qui y sont établies, nous eûmes devant nous un spectacle curieux et navrant à la fois, mais nullement terrifiant ni grandiose.
C’était tout ce qui, de Pantin à Saint-Denis, et par de là, eût pu servir d’abri et de défense à l’ennemi.
En regardant avec quelque attention, on voyait, plus loin encore, quelques lueurs plus intenses vers l’est, c’est-à-dire vers Rosny, Montfermeil et Bondy, et, du côté opposé, une heure plus tard, une flamme semblable à celle qui sort d’une cheminée de forge ou, mieux encore, du cratère d’un volcan en éruption, jaillissait entre deux collines. C’étaient vraisemblablement le parc d’Enghien, naguère encore si beau qui brûlait, et les petits bois des environs de cette nation thermale, peut-être même quelques futaies de la forêt de Montmorency.
Par instants, vers Bondy, la clarté devenait plus vive, et, durant quelques minutes, ce coin de l’horizon offrait l’aspect aune fournaise lointaine.
Vers Saint-Ouen, il n’y avait plus rien qu’une faible lueur. Le feu qui, durant l’après-midi, avait tout dévoré dans l’île, s’était éteint faute d’aliment.
Mais la ligne rougeâtre qui faisait face à la butte était, à onze heures, presque ininterrompue. Elle devait, croyons-nous, suivre les rives du canal de l’Ourcq, et gagner par Bobigny, Aubervilliers, Saint-Rémy, jusqu’à Villetaneuse, Epinay et Gennevilliers.
Plusieurs points étaient de véritables loyers incandescents. D’autres faisaient l’effet de ces veilleuses qui crépitent quand l’huile se raréfie dans le godet et jettent une dernière et rive étincelle lorsque l’eau les gagne. Ailleurs, le travail du feu se faisait lent, régulier, continu. »
Un feu pour désoler le passage des Prussiens
Finalement, cet épisode peut faire penser à la stratégie des Russes, face à l’avancée des troupes Napoléoniennes : pratiquer la logique de la terre brûlée. Cependant, pour le cas des français, il s’agit davantage de se prémunir des possibilités des Prussiens et de ralentir leur progression. Il faut donc le voir au même titre de destruction d’infrastructures comme les ponts.
C’est comme cela que l’éditorialiste du Petit Journal, Thomas Grimm, le présente le 17 septembre 1870 :
« L’heure des sacrifices est venue : sacrifices volontaires, sacrifices immenses, mais dont chacun comprend la nécessité.
A d’autres d’évaluer les millions qui s’en vont en fumée, ou qui restent noyés sous les eaux, lorsqu’on met le feu à une forêt, à un village, ou qu’on fait sauter les écluses d’un canal. Je ne dirai, moi, qu’un seul mot un mois d’occupation prussienne, dix départements envahis par un ennemi dévastateur. Cela ne se chiffre pas par millions, mais par milliards !
Que de pertes, que de désastres, que de capitaux, d’existences engloutis ; parce que nous n’avons pas su a temps faire le sacrifice d’aujourd’hui I Laisserons-nous autour de Paris cette ceinture verdoyante de bois et de forêts qui s’étendent dans la plaine ? Laisserons-nous aux Prussiens les saillies et les fourrés pour y cacher son artillerie et y embusquer ses soldats ? Leur donnerons-nous les branches touffues de Bondy, de Meudon, de Clamart, pour y prendre leurs fascinages et se faire un abri contre notre canon ? Leur donnerons-nous nos hêtres et nos chênes pour réparer leurs batteries démontées ? Nos bouleaux et nos tilleuls pour élever des palissades derrière eux et sur leurs flancs ; nos sapins et nos saules pour consolider leurs lignes de circonvallation ?
Non, et dès aujourd’hui, l’espoir de trouver chez nous-mêmes des armes pour nous combattre, doit leur échapper. »
Mais pourquoi brûler en avance ?
« Je dois répondre, à ce propos, à une phrase que j’entends souvent prononcer depuis quelques jours.
« Pourquoi, demande-t-on, ne pas incendier les bois au dernier moment, alors qu’ils seront remplis du matériel que les Prussiens vont évidemment chercher à y abriter, ou des bataillons qui y auront trouver un campement commode ? »
Il est certain que l’idée de pareils autodafés est tentante : détruire du même coup les hommes et les choses qui vous gênent, cela est faire double besogne.
Je ne dis pas qu’en certaines occasions les défenseurs de l’enceinte de Paris n’auraient pas ce spectacle d’une armée affolée, se trouvant la nuit devant une mouvante colonne de flammes. Le feu est un auxiliaire terrible. Mais c’est aussi un auxiliaire capricieux.
Tantôt la plus faible étincelle se communique de branchage en branchage avec une effrayante rapidité, tantôt la flamme, un instant, montée jusqu’au ciel redescend, se calme, et s’éteint. Un changement dans l’état de l’atmosphère, dans la direction du vent, et il devient impossible de régler la marche du feu. »
Organisation de ces feux
Nous poursuivons avec l’édition du 15 septembre
« Le feu et la hache qui travaillent depuis quarante-huit heures ont déjà singulièrement éclairé l’horizon de nos forts et de notre enceinte.
La forêt de Bondy les bois de Montmorency de Saint-Gratien, d’Enghien sont en flammes ou déjà consumés. Bientôt viendra le tour des bois de Ville-d’Avray, de Saint-Cloud, de Meudon, de Saint-Germain, de tout ce qui peut offrir un asile à nos ennemis, un obstacle à nos défenseurs
« La forêt de Bondy, par exemple, été mise en feu il y a deux jours. Pendant tout une nuit, des lueurs sanglantes ont éclairé le ciel à bien des lieues à la ronde. Puis, pour quelques heures, la flamme a semblé disparaître. L’œuvre de destruction, pourtant, était loin d’être consommée. A l’heure qu’il est, et pour un temps qu’il n’est au pouvoir de personne de fixer encore, la forêt de Bondy, immense brasier aux flammes intermittentes, s’illuminera et s’éteindra tour à tour opposant à la marche de l’ennemi, à l’instant où peut-être il sera le plus loin de s’y attendre, une infranchissable digue ; une digue de flammes. »
Sources bibliographiques :
- Petit Journal du 12 septembre 1870
- Petit Journal du 15 septembre 1870
- Petit Journal du 17 septembre 1870
- Petit Journal du 19 septembre 1870
- Illustration : Aspect du bois de Boulogne aux abords des fortifications – extrait du Monde illustré du 10 septembre 1870 – crédit BNF Retronews