La fermeture au public de la Morgue
La fermeture au public de la Morgue en mars 1907 fut vécue comme la fin d’un grand théâtre avec ses drames…
Depuis le Moyen Age, la morgue était destinée à recevoir les corps sans vie trouvés dans l’espace publique (les rues ou la Seine). Elle permettait de procéder à leur identification, de constater les raisons de la mort.
Elle était d’abord, dans la basse geôle du Châtelet, près de la rue. Aussi, cet espace ouvert sur l’extérieur était visible des passants. Cette ouverture était motivée par les reconnaissances par le public.
Au XVIIIe siècle, puis au XIXe siècle, la morgue se transforma, notamment grâce à sa salle d’exposition publique, à une véritable attraction. Lors de grandes affaires sensationnelles, plusieurs dizaines de milliers de curieux défilaient dans la salle d’exposition.
Aussi, en 1907, le préfet de la Seine, M. Lépine, décida de fermer cette ouverture au public.
Un arrêté préfectoral
Le 21 mars 1907, le Petit Journal annonce la fermeture de la morgue :
« En vertu d’un arrêté préfectoral, à partir d’aujourd’hui, la salle d’exposition de la morgue sera interdite au public.
Le préfet de police vient de prendre un arrêté par lequel la morgue de Paris sera ouverte exclusivement aux personnes qui s’y présenteront en justifiant qu’elles peuvent aider réellement à l’identification d’un corps exposé ou qu’elles ont intérêt à vérifier si le corps d’une personne disparue est exposée dans cet établissement.
L’accès de la salle d’exposition sera autorisé par le greffier de la morgue ou son délégué de huit heures du matin à six heures du soir, en été, et en hiver, de huit heures du matin à la nuit tombante. »
Ainsi, l’accès de l’établissement pour les curieux n’est plus possible. Une révolution !
Les arguments en faveur de la fermeture au public
Le Petit Journal indique ensuite les arguments avancés par le greffier pour motiver la fermeture au public :
« D’abord les reconnaissances publiques sont rares. Au cours des affaires sensationnelles, 20 000 personnes peut être viennent défiler dans la salle d’exposition : et, dans ce nombre considérable de curieux, il n’en est pas un qui se dérange dans le but d’aider à la reconnaissance du corps exposé : tous sont attirés par la curiosité.
De tous temps, l’attitude des visiteurs, en général, était loin d’être édifiante ; la morgue semblait être, pour la plupart d’entre eux, un endroit où l’on n’entrait que pour se récréer un instant. De plus, un public spécial y tenait des propos scandaleux ; enfin, des gens que je ne veux qualifier y conduisaient leurs enfants. Ce spectacle était navrant. »
Il rajoute ensuite : « L’idée de la fermeture de la morgue est venue, si je ne me trompe, à un conseiller municipal de Paris qui a remarqué avec raison que depuis qu’il n’y a plus d’exécutions capitales, le public spécial qui y assistait s’était rabattu sur la morgue. Il était temps de mettre fin à ce scandale. »
La possibilité d’organiser des ouvertures ponctuelles
Par son architecture, la morgue, qui était alors située près du pont de l’Archevêché, favorisait une reconnaissance par le public. En effet, les visiteurs pouvaient accéder à la salle d’exposition, composée de grandes plaques vitrées, derrière lesquelles on plaçait les corps.
Les aménagements suivants furent installés :
« La fermeture de la morgue se fera par des vantaux mobiles, que je ferai enlever dans les cas où je le jugerai utile : par exemple, au cours d’une affaire judiciaire sensationnelle où il y aura intérêt à faire établir l’identité d’une victime inconnue. A cette occasion, seulement, le public sera autorisé à défiler, comme autrefois, devant la vitrine d’exposition. La réouverture momentanée de la morgue sera annoncée au public par les journaux. »
« Fermeture d’un théâtre »
C’est par ces mots que le Journal du 24 mars 1907 évoque l’arrêté.
« Peu de mesures de police ont eut une meilleure presse. On ne s’est même pas étonné d’avoir attendu aussi longtemps la fermeture de celui de tous les lieux de spectacles qui renouvelaient le plus souvent son affiche et qui donnait chaque jour des matinées où s’empressait un public avide d’émotions. »
Le journaliste compare la morgue avec les salles de spectacle :
« Ainsi que les autres vieux théâtres de Paris, la morgue a eu, en effet, ses pièces à succès dont on a dressé la liste. On dirait le répertoire de l’Ambigu. Tous les drames joués la sont historiques, mais tous les auteurs n’ont pas été nommés et beaucoup, qui ne s’étaient point fait connaître, n’ont pas été découverts. »
Rapidement, on évoqua la destruction du bâtiment, pour reconstruire un peu plus loin, loin des regards le nouveau Institut médicolégal. Il faudra cependant attendre la fin de la première guerre mondiale pour que les travaux aboutissent.