L’effondrement du pont de l’estacade lors de la crue de 1910
L’effondrement du pont de l’estacade lors de la crue de 1910 : sous la pression des eaux et des gros débris.
Tout d’abord, petit retour en arrière ! En effet, le pont de l’estacade ne fait pas partie des 37 ponts que nous connaissons aujourd’hui dans Paris. En bois, c’était une jetée qui protégeait le petit bras de la Seine, au moment de son décrochement avec l’île Saint Louis, du côté de la rive droite.
Elle servait principalement à protéger cette partie du fleuve des gros glaçons en hiver, qui pourraient endommagés les bateaux.
Lors de la crue de 1910, ce pont résista fièrement mais fut dépassé par les flots. Il s’effondra, ainsi que nous le détaillons dans notre revue de presse d’alors.
Les premières menaces sur le pont de l’estacade
Avec la montée des eaux continue pour aboutir à la grande crue de 1910, le pont de l’Estacade est rapidement mis à l’épreuve. En effet, assez tôt, on craignit son effondrement, comme le rapporte le Petit Parisien du 23 janvier 1910.
« L’estacade de l’île Saint Louis menaçait hier matin de s’effondrer sous la poussée d’un nombre considérables de pièces de bois accumulées à cet endroit. Quinze hommes ont été embauchés pour dégager les piles de ce pont et obvier au danger menaçant.
Cette dérive de bois fait le bonheur d’un grand nombre de gens. On en voit qui, le long des chalands, essaient d’attraper, au moyen de gaffes, les pièces de bois qui passent au fil de l’eau. Certains mariniers ont recueilli ainsi plusieurs stères.
Ainsi que le signale la Petite République du 26 janvier, il est essentiel de commencer à intervenir pour limiter les dégâts :
« Le spectacle de la Seine au moment où elle se sépare en deux bras, est réellement imposant. L’estacade de bois qui relie l’île Saint Louis au pont est disloquée par les matériaux charriés par la Seine. On commence à en démolir le tablier. »
Face aux flots mais aussi aux débris
Bien évidemment, on imagine tout d’abord que la première pression à laquelle doit faire face un pont lors d’une crue, c’est celle des flots. C’est tout à fait vrai. Cependant, le coup fatal peut provenir d’autres pressions : celles des objets et des débris qui sont très nombreux dans l’eau. Le Petit Parisien du 27 janvier en fait le constat.
« Sans cesse, le flot apporte d’énormes quantités de madriers de mine, qui viennent heurter violemment les piles de bois de l’estacade et s’y accumuler. On craint, d’un moment à l’autre, que sous ce poids considérables, le tablier ne se soulève et que ses poutres désassemblées ne s’engage dans le petit bras qui contourne l’île Saint Louis. Un véritable train de bois serait alors charrié par le courant et les poutres, les madriers, les tonneaux iraient éventer les bateaux lavoirs, les établissements de bain, amarrés le long du quai.
On imagine quel serait alors le volume des épaves flottant dans Paris et quels accidents elles pourraient causer sur leur passage.
Le service de la navigation conscient du danger que présente la situation actuelle du pont de l’Estacade, a placé à proximité des ouvriers, qui à son trompe, avertiront les bateliers de prendre la fuite si l’accident prévu se produit. »
Craintes d’une catastrophe pour les bateaux du petit bras de la Seine
Ainsi que nous l’avions indiqué, le pont de l’estacade avait été édifié pour protéger le petit bras de la Seine, entre l’île Saint Louis et la rive droite. On y trouvait alors une grande quantité de bateaux amarrés. Malgré sa situation en crise, l’estacade continuait cette protection face aux eaux en crue. Que se passerait il si l’estacade s’effondrait ? C’est la question à laquelle tente de répondre le Petit Parisien du 28 janvier
« Le pont de l’Estacade a résisté, la nuit dernière encore, à la formidable poussée du flot et des épaves qui, sans cesse, s’amoncellent. Les planches et les poutres, au lieu de glisser sous le tablier, comme on le craignait, ont passé par-dessus. Le soulèvement attendu ne s’est point produit, mais l’effondrement parait n’être plus qu’une question d’heures. On entend, en effet, de sinistres craquements, précurseurs d’une catastrophe…
D’ores et déjà, il semble impossible, si celle-ci se produisait, de sauver les deux péniches et le bateau lavoir amarrés immédiatement derrière le pont. Ils seraient certainement éventrés par les poutres s’en allant à la dérive et sombreraient. L’apport incessant d’épaves, se confondant dans ce chaos, obstruerait complètement le petit bras de la Seine contournant l’île Saint Louis. »
En tout état de cause, l’eau continuait de monter :
« Au quai Henri IV, le barrage établi à la rampe du quai de l’Estacade a cédé. L’eau a envahi le quai et soulevé le tablier du pont. »
Le Matin du même jour n’est guère plus optimiste :
« L’estacade de Saint Louis en l’île oscille sur ses bases ; elle est portée par le flot tourbillonnant. Dans le soir, elle offre un aspect lugubre avec ses réverbères éteints, perdue dans les ténèbres que secoue la colère des eaux… On distingue à peine l’île Saint Louis aux rues inondées. »
Puis c’est l’effondrement
La chute du pont s’effectua comme redouté le 28 janvier. Nous en trouvons une description dans les journaux du lendemain. Compte rendu du Petit Parisien du 29 janvier 1910
« Le pont de l’Estacade s’est effondré – il est fort heureux qu’il n’en soit pas résulté de catastrophe.
Le journaliste poursuit :
« L’effondrement attendu hier du pont de l’Estacade s’est produit hier matin, entre 5 heures et 5 heures et demie.
Contrairement aux prévisions, cet effondrement s’est effectué très doucement.
L’Estacade, poussée par le courant, heurta le vapeur Isard, amarré à proximité. Le bateau ne parait pas avoir souffert du choc. Il n’en est pas de même de l’Estacade, dont la moitié de la superstructure s’est effondrée. »
Arrivée des autorités
« M. Collignon, inspecteur principal de la navigation, ne tarda pas à arriver et prendre des mesures. Des ouvriers montent sur ce qu’il reste de l’Estacade. Ils coupent à la scie tous les parapets épargnés par les flots et amarrent ce qui reste du tablier aux pontons de montée des quais voisins.
Grâce à ces précautions, aucun accident ne se produit. Ni les bateaux lavoirs, ni les péniches amarrées en aval du pont, ont eu à souffrir de la débâcle. Ils ne laissent point cependant, de courir de sérieux risques, car le fleuve continue à charrier de nombreuses épaves et le pont ne les retenant plus, celles-ci peuvent éventrer les bâtiments qu’elles trouveront sur leur passage. »
Des débris qui partent progressivement sans causer trop de dégâts
C’est en effet la nouvelle rassurante que voulait diffuser le Petit Parisien du 30 janvier
« La situation est aussi beaucoup meilleure au pont de l’Estacade. Les billes de bois qui étaient accumulées le long du parapet ont été en partie entraînées par le courant, sans causer de dommage. Le reste a été tiré, hors du fleuve, par le service de la navigation. Hier matin, toutefois, un bachot et un bac, appartenant à M. Granger ont été coulées à pic. »
Sources bibliographiques :
- Le Petit Journal du 23 janvier 1910
- La Petite République du 26 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 27 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 28 janvier 1910
- Le Matin du 28 janvier 1910
- Le Matin du 29 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 29 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 30 janvier 1910
- Image : L’Estacade, brèche ouverte par le fleuve en janvier 1910 – crédit BHVP