La danse mauresque à Paris : des fêtes médiévales au théâtre de foire
À travers les rues animées de Paris, au fil des siècles, de nombreuses danses ont émergé, se transformant au gré des modes et des influences culturelles. Parmi elles, la danse mauresque occupe une place singulière. D’abord introduite en Europe par le prisme des fêtes médiévales et des entrées royales, elle est rapidement devenue un élément spectaculaire des festivités parisiennes. Fascinant par son exotisme, ce type de danse, inspiré d’une vision fantasmée du monde musulman, se retrouve aussi bien dans les carnavals que dans les ballets de cour sous l’Ancien Régime.
Mais c’est sur les tréteaux du théâtre de foire que la danse mauresque connaît un destin étonnant. Reprise, transformée, parfois moquée, elle devient un élément clé du répertoire comique et satirique des foires parisiennes. Entre fascination et caricature, elle témoigne du regard que portaient les Parisiens d’Ancien Régime sur l’Orient, oscillant entre admiration et dérision.
Comment cette danse est-elle arrivée à Paris ? Quelle place a-t-elle occupée dans les festivités urbaines ? Et comment a-t-elle été réinterprétée dans le théâtre de foire ? Cet article explore l’histoire et l’évolution de la danse mauresque, de son apparition dans les cérémonies officielles à son appropriation par les scènes populaires.
Origines et influences de la danse mauresque
La danse mauresque trouve son origine dans les représentations européennes de l’Autre, façonnées par des siècles de contacts – souvent conflictuels – entre l’Occident chrétien et le monde musulman. Dès le Moyen Âge, elle apparaît dans les fêtes et spectacles comme une évocation exotique de la culture maure, oscillant entre fascination et mise en scène fantaisiste.
Une danse guerrière entre mythe et réalité
Le terme “mauresque” renvoie à la figure du Maure, terme générique désignant les populations musulmanes d’Al-Andalus, du Maghreb et parfois de l’Empire ottoman. Dans l’Europe médiévale, la danse mauresque s’inspire des tournois et des représentations de la Reconquista. Les Maures y sont souvent mis en scène comme des ennemis chevaleresques ou comme des figures exotiques incarnant la différence culturelle.
Cette danse a donc une dimension martiale, souvent intégrée aux tournois et aux entrées royales. Des danseurs costumés en guerriers maures y exécutent des figures rythmées, parfois accompagnées d’épées ou de bâtons, mimant des combats stylisés. Ces spectacles visent autant à célébrer la victoire chrétienne qu’à jouer sur la fascination pour un Orient fantasmé.
La danse mauresque dans les fêtes et entrées royales
Dès le XVe siècle, la danse mauresque est adoptée dans les cérémonies officielles, notamment lors des entrées royales à Paris. Ces festivités, qui célèbrent l’arrivée d’un souverain dans la ville, mettent en scène des allégories et des spectacles vivants où la danse joue un rôle central. Dans ce contexte, la danse mauresque devient un élément de mise en scène du pouvoir royal : elle symbolise à la fois l’ordre établi et la maîtrise des éléments exotiques ou étrangers.
Les danseurs, souvent des professionnels ou des membres de corporations de saltimbanques, revêtent des costumes richement ornés, évoquant un Orient fantasmé. Le spectacle est alors autant une démonstration de force qu’un divertissement pour la population. La danse mauresque devient ainsi une tradition bien ancrée dans les festivités parisiennes, évoluant au fil du temps vers une forme plus spectaculaire et théâtralisée.
Une danse entre fascination et transformation
Si la danse mauresque trouve ses origines dans des références militaires, elle évolue rapidement pour devenir une danse festive, parfois burlesque. Dès la Renaissance, elle est intégrée aux mascarades et aux ballets de cour, où elle perd progressivement son caractère guerrier pour s’adapter aux codes du divertissement aristocratique.
Les danseurs, parfois grimés en personnages exotiques, exagèrent leurs mouvements et ajoutent des éléments de pantomime. Cette évolution marque le passage d’une danse de combat à une danse de spectacle, qui prépare son intégration dans le répertoire du théâtre de foire au siècle suivant.
La danse mauresque, en tant que phénomène culturel, témoigne donc de la manière dont Paris a intégré, transformé et mis en scène les influences venues d’ailleurs. Elle illustre aussi le goût des Parisiens pour le spectaculaire et l’exotisme, un goût qui connaîtra son apogée dans les théâtres forains du XVIIIe siècle.
La suite logique de cet article nous conduira donc à examiner son rôle dans les carnavals et les spectacles populaires parisiens, où elle connaîtra une nouvelle transformation.
La danse mauresque dans le carnaval et les spectacles parisiens
À mesure que Paris se développe comme un centre de spectacles et de divertissements, la danse mauresque trouve une place de choix dans les festivités urbaines. Loin des cérémonies royales où elle servait à illustrer la grandeur du pouvoir, elle s’intègre progressivement aux réjouissances populaires, notamment dans le carnaval et les fêtes de rue.
Une danse incontournable des carnavals parisiens
Dès le XVIe siècle, le carnaval de Paris devient un événement majeur du calendrier festif. C’est une période où les hiérarchies sociales sont temporairement renversées, où l’extravagance et le déguisement dominent. Dans ce contexte, la danse mauresque, déjà bien implantée dans les spectacles de cour, se répand dans les cortèges et mascarades carnavalesques.
Des danseurs costumés en Maures exécutent des pas rythmés, souvent accompagnés de tambours et d’instruments à vent, rappelant les musiques orientalisantes. La danse s’enrichit d’acrobaties et de jeux scéniques, contribuant à la dimension spectaculaire du carnaval. Cette appropriation populaire en fait une danse de l’exubérance, associée à l’énergie débordante des festivités de rue.
Mais dans ces carnavals, la danse mauresque ne conserve pas uniquement son caractère majestueux : elle devient aussi un prétexte à la caricature. Par le biais du grotesque et du burlesque, elle est parfois détournée en une imitation exagérée de l’Autre, révélant les ambiguïtés de l’exotisme dans la culture parisienne de l’époque.
L’intégration dans les ballets et spectacles de rue
En parallèle du carnaval, la danse mauresque s’impose dans d’autres formes de spectacles populaires. Dès la fin du XVIIe siècle, les foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent, véritables institutions du divertissement parisien, accueillent des troupes itinérantes qui intègrent des danses exotiques dans leurs représentations.
Dans ces spectacles de rue, la danse mauresque est souvent associée à des tableaux vivants, où elle sert à illustrer des récits exotiques ou orientaux. Les baladins et danseurs de foire reprennent les éléments chorégraphiques déjà présents dans les entrées royales et les carnavals, mais en les adaptant à un public plus large. La danse se théâtralise, se nourrit d’influences diverses et devient un élément clé du spectacle de foire.
L’exotisme devient alors un argument commercial. Les organisateurs de spectacles rivalisent d’ingéniosité pour proposer des mises en scène toujours plus impressionnantes, jouant sur le goût du public pour l’ailleurs et l’inconnu. Cette fascination pour l’Orient, souvent idéalisé ou caricaturé, prépare le terrain pour l’appropriation de la danse mauresque par le théâtre de foire.
Vers une stylisation théâtrale de la danse mauresque
À la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, la danse mauresque commence à se codifier et à s’insérer dans les spectacles théâtraux. Elle est intégrée dans les ballets de l’Opéra de Paris, où elle se pare d’une stylisation plus académique. Sous l’impulsion des maîtres de ballet, elle se fond dans les formes dansées du baroque, devenant une danse de cour aux mouvements plus harmonieux et mesurés.
En parallèle, dans le théâtre de foire, cette danse prend une tournure plus satirique. Les auteurs forains, en quête de moyens pour contourner la censure officielle qui limite leur champ d’action, exploitent l’exotisme de la danse mauresque pour créer des scènes comiques. On la retrouve dans des parodies d’opéras et de ballets où elle est volontairement exagérée, tournée en dérision par des mouvements maladroits ou des costumes grotesques.
Ainsi, la danse mauresque devient un élément malléable, oscillant entre tradition spectaculaire et satire populaire. Elle continue à captiver le public parisien tout en servant de miroir aux représentations de l’Orient véhiculées par la société de l’époque.
Dans la prochaine section, nous verrons comment cette danse trouve un rôle spécifique dans le théâtre de foire, où elle est à la fois outil de subversion et source de divertissement.
La danse mauresque dans le théâtre de foire : entre satire et fascination
Le théâtre de foire, qui connaît un essor considérable aux XVIIe et XVIIIe siècles, est un espace de liberté où les traditions spectaculaires se renouvellent sans cesse. Concurrencées par l’Opéra et la Comédie-Française, les troupes foraines exploitent toutes les ressources du comique pour captiver leur public. La danse mauresque, déjà bien ancrée dans les fêtes populaires, y trouve un nouveau terrain d’expression, oscillant entre fascination et moquerie.
Une danse exotique au service des spectacles de foire
Les foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent deviennent, sous l’Ancien Régime, des hauts lieux du spectacle populaire. C’est là que se développent des formes théâtrales hybrides, combinant danse, pantomime, acrobaties et jeux scéniques. La danse mauresque y est souvent intégrée à des scénettes burlesques ou à des parodies de tragédies et d’opéras.
Les auteurs de théâtre forain, à l’image d’Alain-René Lesage ou des frères Parfaict, utilisent la danse mauresque pour donner une touche d’exotisme à leurs œuvres tout en ridiculisant les conventions des spectacles plus institutionnels. Dans ces représentations, les personnages mauresques sont souvent incarnés par des danseurs ou des comédiens affublés de costumes extravagants, accentuant le caractère fantasmatique de cette danse.
Par ailleurs, les troupes de foire intègrent parfois de véritables danseurs orientaux ou des artistes étrangers, ce qui alimente encore davantage le mélange entre imitation et caricature. Cette confrontation entre un Orient rêvé et une réalité déformée par le prisme du théâtre contribue à forger une imagerie persistante dans l’imaginaire collectif parisien.
La caricature du Maure dans le théâtre comique
Le théâtre de foire se distingue par son esprit satirique et son goût pour la parodie. La danse mauresque, initialement perçue comme une danse de prestige, est souvent détournée à des fins comiques. Elle devient un prétexte à des jeux de scène exagérés, où les danseurs adoptent des postures outrancières ou des mouvements maladroits pour susciter le rire du public.
Dans certaines pièces, les personnages de Maures sont dépeints comme des figures ridicules, maladroites ou excessivement théâtrales, renforçant ainsi le comique de situation. Ces représentations s’inscrivent dans une tradition plus large de la satire sociale et culturelle, où l’exotisme est à la fois un objet de fascination et un terrain de jeu pour l’humour populaire.
Cette dimension burlesque ne signifie pas pour autant un rejet total de la danse mauresque en tant que forme artistique. Au contraire, elle témoigne de son enracinement dans la culture parisienne et de sa capacité à évoluer en fonction des contextes et des attentes du public.
Héritages et survivances de la danse mauresque
Si la danse mauresque perd progressivement son importance dans le théâtre de foire à la fin du XVIIIe siècle, elle laisse une empreinte durable sur les représentations scéniques. Son exotisme fantasmé continue d’influencer les ballets et les spectacles parisiens, notamment dans l’opéra-comique et les féeries théâtrales du XIXe siècle.
On retrouve également des traces de cette danse dans certaines formes de spectacles de boulevard, où elle est réinventée sous d’autres formes, parfois plus proches du music-hall ou de la pantomime. L’intérêt pour les danses orientales et exotiques se renforce avec l’orientalisme du XIXe siècle, qui voit émerger de nouvelles formes de spectacles inspirés des cultures du Maghreb et du Moyen-Orient.
Ainsi, bien que transformée et adaptée au fil du temps, la danse mauresque a contribué à façonner une tradition spectaculaire parisienne où le goût pour l’exotisme et le burlesque s’entremêlent. Son histoire témoigne des dynamiques culturelles qui ont traversé Paris, entre fascination pour l’Orient et appropriation théâtrale des références étrangères.
Conclusion : Une danse entre fascination et réinvention
La danse mauresque, apparue à la croisée des influences orientales et européennes, a connu une riche évolution dans les spectacles parisiens. D’abord symbole de l’exotisme et de la puissance royale dans les entrées solennelles, elle s’est ensuite diffusée dans les carnavals et les fêtes populaires, où elle a pris une dimension plus libre et expressive.
Dans le théâtre de foire, elle a trouvé un nouveau terrain d’expérimentation, oscillant entre admiration pour l’altérité et parodie burlesque. À travers ses détournements comiques, elle est devenue un motif récurrent du spectacle forain, nourrissant l’imaginaire collectif tout en reflétant les ambiguïtés des représentations occidentales de l’Orient.
Si son importance a décliné au fil du temps, la danse mauresque a laissé une empreinte durable sur les arts du spectacle à Paris. Son influence se retrouve dans les ballets de l’Opéra, les féeries théâtrales et même dans les formes modernes de danses exotiques qui ont émergé au XIXe siècle avec la vogue orientaliste.
Plus qu’une simple curiosité chorégraphique, la danse mauresque témoigne des échanges culturels qui ont traversé la capitale et de la manière dont le théâtre populaire a su s’emparer d’éléments étrangers pour les transformer en sources de divertissement. Entre fascination et réinterprétation, elle s’inscrit dans cette longue tradition de métissage et de réinvention qui fait l’histoire du spectacle à Paris.
Sources bibliographiques :
Émile Campardon, Les spectacles de la Foire, Paris, Berger-Levrault, 1877, 2 volumes.
Alexandre Sumpf, « La baraque de la Goulue et le bal Bullier », Histoire par l’image, octobre 2006.
Henri de Toulouse-Lautrec, Panneaux pour la baraque de la Goulue, à la Foire du Trône à Paris, 1895.
Le Théâtre de la Foire, Voltaire Foundation.
Le langage du corps : fêtes et danses « arabes », OpenEdition Books.