Les curieux sur les ponts de l’île de la Cité lors de la crue de 1910
Les curieux sur les ponts de l’île de la Cité lors de la crue de 1910 : au milieu de la foule de photographes
Vite allons voir avant que l’eau ne baisse trop ! Toute la semaine, les journaux avaient parlé de la crue ! Toute la semaine, l’inondation de tant de quartiers de Paris avait occupé toutes les conversations ! Toute la semaine avait été un mélange de peur et de galère dans les transports !
Aussi, voici, le 30 janvier 19610, le week end est là ! On parle depuis quelques heures de décrue ! Allons voir la Seine à l’île de la Cité !
Grâce au reportage du Petit Parisien du 31 janvier, il nous est possible plus de 100 ans après de percevoir un peu cette ambiance qui régnait ce jour-là sur les quais et les ponts de l’île de la Cité.
« Vers l’île Saint Louis et le pont Saint Michel »
« Le long du boulevard Henri IV, dont la chaussée et les trottoirs étaient noirs de monde, les tramways des lignes Bastille – Porte Rapp, Gare de Lyon – Avenue Henri Martin, sur les vitres desquels étaient collées des affiches ainsi conçues : « Bastille Gare Montparnasse », avançaient, avec une extrême longueur parmi la foule, sans cesse accrue.
Pour éviter des accidents, il fallut barrer dés le matin, les trottoirs du pont Henri IV.
La foule se porta en masse, tout l’après midi, à proximité du pont de l’Estacade, dont nous avons, depuis le commencement de la crue, entretenu nos lecteurs. On se montrait le bateau-lavoir amarré en aval et dont la situation est de plus en plus critique. Les épaves qui sont amoncelées sous sa coque sont sans cesse mises en mouvement par les remous furieux du fleuve encaissés à cet endroit, et l’on craint, à chaque minute, de voir s’abimer ce bâtiment, dont la propriétaire, Mme Bossard, une pauvre veuve chargée de famille, serait absolument ruinée, si la catastrophe se produisait.
On se pressait autour des mariniers et des agents du génie, qui, au cours de ces derniers jours, ont accompli des prodiges de valeur, parmi lesquels MM. Granger et Godard, patron du lavoir de Pont-Marie, se sont particulièrement distingués. »
Des services d’ordres très sévères sur les ponts
« En raison des travaux délicats opérés par le service du génie, sous les arches du pont Sully, un service d’ordre très sévère ne cesse d’y fonctionner toute la journée.
Une véritable digue, constituée par des épaves de toutes sortes, s’était formée sous les arches, et il y avait une différence de niveau de un mètre entre le niveau du fleuve amont, et le niveau égal.
Mêmes mesures ont été prises en ce qui concerne le pont d’Arcole, qui par prudence fut maintenu barré toute la journée.
Les curieux amassés au coin du quai Saint Bernard, devant l’immense nappe qui submerge maintenant en partie la Halle aux Vins, conscients que sur ce point, les dégâts quoique très grands étaient peut être moins navrants que partout ailleurs, étaient heureux de se dérider un peu et les lazzis, les plaisanteries faciles sur le « vin sans eau » et le « picolo baptisé » allaient leur train.»
« Autour de Notre Dame »
Traversant ce pont, fort encombré de photographes et de peintres, désireux de fixer l’aspect de Notre Dame, émergeant de l’immense nappe liquide, on gagnait l’île Saint Louis, les quais de Béthune, à demi noyé, et d’Orléans où l’armée des pécheurs était plus nombreuse encore que samedi.
Au pont Saint Louis, la baisse des eaux était aisément appréciable. En effet, le flot en se retirant, avait laissé aux anneaux du tablier, des lambeaux de paille et de jonc, qui, maintenant, sont à une dizaine de centimètres du niveau du fleuve.
Par le quai Bourbon, qui entoure l’île Saint Louis, on gagnait une partie du quai d’Anjou, encore accessible au public et le pont Marie, et là encore, on constatait à certains indices que la crue était en sérieuse décroissance.
A Notre Dame, l’eau avait, hier après midi, baissé de quelques centimètres dans les caves et s’était retirée d’un mètre environ dans les jardins du Chapitre et de l’Archevêché.
Jusqu’à la chute du jour, les abords du pont au Double furent encombrés d’un nombreux public, qui suivit avec le plus grand intérêt le repêchage des objets que des mariniers retiraient du fleuve. »
« Au Palais de justice »
« Ouvert toute la journée à la circulation, le pont au Change fut, au cours de la journée, un des endroits préférés de la foule, qui s’y porta avec empressement pour jouir du spectacle nouveau, à la fois pittoresque et émouvant, qu’offrait les berges de la Seine, en amont et en aval.
Même affluence sur le pont Notre Dame, qui est, avec le pont au Change, le plus ancien de tous les ponts parisiens..
Devant le Palais de justice, ce fut un défilé ininterrompu d’un public un peu gouailleur qui voulait voir quels progrès de l’inondation avait fait dans le temple de la justice.
Le tribunal de simple police et le buffet, transformés en citernes boueuses, et la cour de la Sainte Chapelle changée en lac, excitait l’hilarité de chacun et un « titi », près de nous montrant, au fond de la cour, une porte submergée à mi-hauteur, au dessus de laquelle on lit : « Assistance et casier judiciaire » se fit un beau succès en s’écriant à la cantonade :
-Qu’est ce que tu attends pour aller chercher ton casier ? »
« Du pont Saint Michel au pont de la Concorde »
Hommes, femmes et enfants ont également déambulés sans cesse le long des quais du centre de Paris.
Le pont Saint Michel est l’un des plus fréquentés. Tous se portent en effet aux abords de la station de la ligne d’Orléans. Les soupiraux de la voie sont maintenant à moitié dégagés et une eau épaisse et bourbeuse s’en dégage. Le « canal » de la ligne d’Orléans déverse ses ilots bouillonnants dans la Seine.
A l’entrée du quai des Grands Augustins, même affluence considérable même qu’il a fallu quelque peu réfréner cette curiosité. Les agents et les soldats d’infanterie de marine forment un barrage fort sévère et de temps à autre, on est obligé de faire reculer la foule qui avance sans cesse.
Pensez donc, c’est si drôle de voir les barques aller et venir accoster le pied d’une échelle par laquelle un monsieur ou une dame descend du premier étage ! »
« A pont Neuf »
« Par le trottoir du quai des Grands Augustins contigu à la Seine, nous pouvons, l’eau s’étant notablement retirée, gagner presque à pied sec le pont Neuf.
La foule s’est portée si nombreuse à cet endroit qu’à un certain moment les ordres ont été donnés pour éviter les stationnements. »