Dans la boue de l’hiver 1879 – 1880
Dans la boue de l’hiver 1879 – 1880 : encombrant les rues, la saleté menace les plus démunis et les affaires.
Que de neige ! Au cours du mois de décembre 1879, Paris croulait littéralement sous la neige. Les rues en étaient couvertes. Les toits débordaient. Partout, on devait déborder d’imagination pour faire face.
Comme on peut le comprendre facilement, la circulation était difficile partout. Mais les armées de nettoyeurs et de balayeurs ne suffisaient pas dégager les axes de circulation.
Tant qu’il faisait froid, les rues gardaient un aspect convenable. Mais qu’allait-il devenir dès lors que le redoux reviendrait ?
Le blanc succèderait au noir ? C’est évidemment ce qu’il s’est passé. Dans la boue de l’hiver 1880, voici le parcours que nous vous proposons dans Histoires-de-Paris.fr !
La crainte de la boue
A chaque tombée de neige, la surprise de la beauté blanche s’accompagne bien vite de la crainte du noir boueux ! Cette année-là ne fit pas exception, ainsi que nous le lisons dans le Petit Parisien du 6 décembre 1879
« Paris est blanc comme un voile de rosière ! C’est fort joli, je ne dis pas non, et un poète ne manquerait pas de s’écrier que, toute la journée, il a plu des lis et des papillons d’argent.
Mais c’est fort agaçant aussi, et fort triste. On patauge sans joie dans cette boue couleur d’hermine on souffre à regarder les chevaux d’omnibus et de fiacres, qui s’essoufflent et s’éreintent, et dont chaque pris semble être l’avant-dernier. Tout à l’heure, j’ai vu un pauvre vieux qui venait de tomber sous un lourd paquet qu’il portait, et je crois qu’on aurait été très mal venu à lui vanter la beauté des nappes de neige et des pâles nuées de flocons.
Pourtant, malgré ses inconvénients, la circulation entravée, les trains qui s’arrêtent en route, il ne faut pas trop en vouloir à la neige. »
Le blanc est beau mais vite handicapant !
Un besoin de nettoyage qui se renforce dès que le redoux arrive
Cette crainte se renouvelle dès que le mercure semble vouloir un peu remonter. En décembre 1879, il fallut toutefois attendre un peu, même si les parisiens eurent une fausse alerte sur le sujet en milieu de mois, comme l’atteste le Petit Parisien du 15 décembre
« Malheureusement, nous allons avoir à passer avant par bien des journées boueuses, humides, froides encore, plus dangereuses peut-être pour la santé publique que ces froids intenses, mais contre lesquelles sera plus aisé de se prémunir.
Dans les rues, les toits pleuvent, les corniches gouttent et répandent dans le cou des passants une eau glacée tort désagréable. On marche dans de véritables marécages, et ce sera peut-être en bateau, si l’on ne nous débarrasse pas au plus tôt des tas considérables de neige qui encombrent encore les rues, que nous devrons traverser les voies pour rentrer chez nous. »
Le besoin de nettoyage des rues revient avec une plus forte virulence.
« Aussi espérons-nous que le service du balayage va prendre un essor nouveau. Tant que des froids sibériens sont venus entraver les opérations des ouvriers, nous n’avons rien fait que nous plaindre de l’insuffisance des moyens employés pour débarrasser Paris, aujourd’hui nous serons plus exigeants.
Les ruisseaux coulent partout, le thermomètre marque 2 degrés, le sol artificiel que nous avons depuis huit jours s’amollit, une buée tiède envahit la ville ; dans ces conditions le nettoyage doit marcher rapidement. Peu nous importe le procédé, mais qu’on fasse vite ! »
Seulement, pour cette fois, la température ne remonte pas tout de suite. Encore deux semaines à tenir dans un froid glacial. Pour le sujet qui nous intéresse ici, la boue, le danger est repoussé d’autant.
La formation des boues avec le dégel
Avec les fêtes, le redoux s’amorce et le thermomètre repasse en zone négative.
Le Petit Journal du 31 décembre l’explique dans le détail :
« Nous avons constaté dans notre dernier bulletin de la température le revirement qui s’est opéré dans la soirée de dimanche. Le thermomètre est tout à coup remonté à 3 degrés au-dessus de zéro ; il a plu pendant environ une heure, et le dégel a commencé. »
Ainsi, la transformation de neige en boue devient une réalité, toute la ville.
« Depuis ce moment, le thermomètre s’est maintenu à cette hauteur, qu’il a même dépassée ; et Paris se trouve actuellement noyé dans un gâchis de neige, de glace fondue et de boue à laquelle se trouvent mêlés toutes sortes d’immondices. On sait que durant les trente-deux jours qu’a duré la gelée, il a été jeté pas mal de cendres sur les trottoirs, voire de la paille et des détritus de légumes, et que les ménagères, n’entendant plus la cloche des boueux, portaient leur panier de cuisine sur les tas de neige. Cela fait actuellement un brouet noir qui sollicite quelques coups de balais sérieux. »
Cette boue était particulièrement sale, alimentée par les nombreux déchets qui n’avaient pu être retiré de la ville.
« Aussi, la direction de la voirie a-t-elle réorganisé son service et augmente le nombre des balayeurs.
Les tas de neige, qui sont tellement tassés qu’ils résistent encore au dégel, seront poussés dans les égouts au fur et à mesure de leur fonte. Il s’agit, non seulement d’assurer la libre circulation des rues, mais encore d’épargner aux boutiques, surtout celles qui se trouvent au bas de rues en pente, les inondations dont elles sont menacées. »
Le regain d’activité des balayeurs
Dans ce contexte, il devient urgent de nettoyer au plus vite les rues. Retirer les immondices et les boues qui s’étaient amoncelés devient un enjeu de salubrité publique. La ville de Paris ne lésine pas sur les moyens en embouchant des ouvriers supplémentaires à la journée pour faire face.
Le Petit Parisien écrit 1er janvier 1880 :
« On s’était habitué à la neige, l’on se fait à la boue ; enfin, on ne grelotte plus. Bien que le thermomètre soit un moment descendu à deux degrés la nuit dernière, le dégel continue. Deux degrés, la belle affaire, pour des gens qui ont enduré temps derniers un froid à glacer des ours blancs
Les employés de la voirie déploient une grande activité, mais leur nombre est insuffisant, et la neige, mélangée à une houe gluante, couvre la plupart des chaussées, absolument inabordables aux piétons. »
Le Petit Journal complète le même jour
« Les rues de Paris sont toujours noyées dans la boue ; et quelle, boue !
On nous a bien annoncé que le nombre des balayeurs allait être augmenté ; mais nous n’avons pas remarqué que le balayage se fit plus promptement qu’à l’habitude. Certaines rues sont impraticables pour les piétons. »
Une boue qui ne dissuade pas les gens de sortir
Le redoux se confirme à Paris et les parisiens souhaitent en profiter pour sortir et déambuler dans les rues. Ils ne soucient pas trop de cette boue noire, comme l’atteste le Petit Journal du 3 janvier
« La journée du premier de l’an a produit, comme les années, précédentes, une grande circulation dans Paris, malgré la boue et un temps gris fort désagréable. »
Il s’agit de profiter des fêtes et des étrennes. Finalement, un hiver gris, les parisiens le connaissent particulièrement bien.
« Les boulevards et les grandes avenues étaient bondés de monde ; les abords de certains magasins étaient impraticables et on ne croisait que des gens chargés d’étrennes ou allant faire des visites officielles et intimes. Le premier janvier, malgré les charges qu’il comporte, est un des rares jours fériés qui a son utilité. Dans le cours de l’année, les relations de parents et d’amis se refroidissent parfois pour des vétilles, le jour de l’an les rapproche les uns et les autres sans qu’il y ait de dignité froissée dans la démarche faite. Le jour de l’An, est aussi pour l’industrie parisienne un débouché qui, fait vivre bien des familles, et nous croyons pouvoir affirmer que les petites boutiques dû boulevard n’ont pas eu trop à se plaindre de la rigueur du temps et ont fait de bonnes recettes. »
Une boue, crainte forte pour les expulsés de leur logement
Avec ce mois terrible, une bonne partie de l’économie parisienne est à l’arrêt. La navigation fluviale est arrêtée, impliquant le chômage pour les ports et les mariniers. De ce fait, l’approvisionnement des usines est problématique, notamment en charbon. Aussi, plusieurs usines doivent ralentir leur production. Cela ne peut pas faire les affaires de leurs ouvriers qui se trouvent privés d’une partie de leurs ressources. Et ne parlons pas de ceux qui vivent au jour le jour, en se trouvant des petits boulots dehors. Aussi, le Petit Parisien lance un appel à la clémence pour les propriétaires de logement dans ces conditions le 7 janvier 1880 :
« Le chômage, la nécessité du combustible, ont usé toutes les petites épargnes ; on a mis au Mont-de-Piété toutes les choses qui ne servent pas à garantir du froid les petits et la femme ; et, bien que l’on soit rangé, il a bien fallu faire quelques dettes, dettes chez le boulanger, dettes chez le fruitier, sans parler des petites sommes que l’on a empruntées à quelque camarade moins malheureux.
Comment voulez-vous que, maintenant, à bout de ressources, on trouve de l’argent pour ce terrible terme, qui, même dans les années ordinaires, est l’objet de tant d’inquiétudes ?
Par les rues boueuses, sous la pluie, sous la neige peut-être, car savons-nous ce que nous réserve l’hiver on verrait passer ces voitures à bras que le mari traîne, que la femme pousse, et sur lesquelles, parmi la literie, tout ce qu’on a pu emporter du mobilier, sont assis les enfants.
Et ces pauvres gens s’en iraient au hasard.
Car, chassés d’une maison où leurs meubles seraient retenus, il leur faudrait payer un terme d’avance pour obtenir un nouveau domicile ; et avec quoi voulez-vous qu’ils payent ?
Ainsi, plus d’asile ! La petite chambre où l’on peut du moins se serrer les uns contre les autres pour avoir moins froid, où l’on se console de bien des choses dans l’intimité de la causerie, ils ne l’auraient même plus !
Les rues, le grand air, le sommeil sur les bancs, avec des sursauts et des transes. Et puis, après, le poste peut-être, puisque le vagabondage est un délit… »
La boue, un obstacle pour les commerces forains
Outre la saleté et la difficulté de circuler, la boue représentait un véritable problème pour les commerces ambulants et saisonniers. Pourtant, nombre de forains vivaient de cette période de fête si nécessaire pour leur chiffre d’affaires. Et dans ce contexte, ni le froid ni la boue ne faisaient leurs affaires. Outre la grande difficulté que cela représentait pour tenir et animer leurs stands, cela reboutait les habitués et les curieux à venir les voir pour profiter de leurs soupes, leurs vins chauds et autres surprises.
« Les marchands forains des boulevards ont eu ou mal cette année, d’abord pour s’installer, en suite pour faire la vente. Les grands froids, puis l’abominable boue du dégel ont éloigné bien des chalands. Beaucoup de ces marchands auront travaillé pour les frais. Et voilà que le bruit s’est répandu parmi eux qu’il ne leur serait pas accordé de sursis cette année.
L’administration ne fera pas cela ; elle ne sera pas plus cruelle que le temps ; et elle accordera le sursis qu’elle n’a jamais refusé, même dans les hivers doux, même aux époques heureuses. Ce sursis est, cette année, absolument nécessaire aux marchands. » Le Petit Journal du 7 janvier
Sources bibliographiques :
- Le Petit Parisien du 6 décembre 1879
- Le Petit Parisien du 15 décembre 1879
- Le Petit Journal du 31 décembre 1879
- Le Petit Parisien du 1er janvier 1880
- Le Petit Journal du 3 janvier 1880
- Le Petit Parisien du 7 janvier 1880
- Le Petit Journal du 7 janvier 1880
- Illustration : glissades dans les rues – extrait de l’Univers illustré du 20 décembre 1879 – crédit BNF Retronews