L’arrivée rocambolesque de la Statue de la République
L’arrivée rocambolesque de la Statue de la République : trente chevaux et un convoi qui a du mal à avancer…
Le 14 juillet 1883, Paris fête en grande liesse sa nouvelle Statue de la République. Monumentale, elle fait alors la fierté populaire. Les parisiens qui passent devant ne se lassent pas de la regarder et de s’intéresser à tous les détails des bas-reliefs qui représentent les grands moments républicains depuis la Révolution.
Et pourtant, son arrivée ne se fit sans difficulté.
Une statue gigantesque qui sort d’une belle fonderie parisienne
On se rappelle que ce monument fut édifié à la suite d’un concours. En effet, à l’initiative de la ville de Paris en 1879, plusieurs dizaines d’artistes sculpteurs avaient proposé des représentations plus ou moins variées de Marianne. Finalement, un jury, à la fois politique et artistique, avait retenu le projet de Léon Morice.
Comme elle s’était engagée à le faire, la Ville de Paris prit à sa charge de la fonte de la statue en bronze. Elle confia cette réalisation à la fonderie des frères Thiébaud, située alors avenue de Villiers.
Un trajet bien compliqué entre l’avenue de Villiers et la place de la République
Aujourd’hui, on dirait que pour rejoindre l’avenue à la place de la République, c’est bien simple. Il suffit de prendre le métro à la station Malesherbes et rejoindre République. Cependant, en 1883, en métro n’existait pas. Et puis, pour transporter une statue de cette taille, ce n’est pas non plus le meilleur chemin.
Le seul moyen pour se faire à l’époque, était de recourir à la force animale. C’est là que les choses compliquées démarrèrent. 5 kilomètres à parcourir ! Pour éviter la grande circulation, on privilégia un transport de nuit.
Nous allons pour raconter cet évènement nous appuyer sur le récit qu’en fit le Conservateur du 15 juillet 1883. Le journaliste de ce périodique royaliste n’était pas le plus objectif pour en parler, mais cela rajoute au burlesque de l’histoire. Les emphases et les rajouts y sont bien présents.
Ils partirent à minuit
« Marianne est partie de la fonderie à minuit, l’heure du crime, sur un chariot traîné par vingt chevaux. Mais après avoir fait cinq cents mètres, les chevaux ont refusé d’avancer. Le poids était trop lourd. »
« Que faire ? » La question était bien délicate.
« Des voitures de la Compagnie des vidanges parisiennes passaient à ce moment, emplissant l’air d’âcres parfums. Les agents arrêtèrent les tonneaux, réquisitionnèrent les chevaux et les placèrent en tête des vingt chevaux déjà attelés. »
Le projet était bien mal engagé, ce d’autant que les chevaux nouvellement installés ne voulurent rien entendre. « Ne reconnaissant plus la main de leurs conducteurs ordinaires, ils refusèrent d’abord le service » Aussi, il fallait renforcer le cocher chargé de les diriger.
Les agents de police chargés d’accompagner ce transport exceptionnel durent se résoudre à faire appel à un homme de l’art. Ils le trouvèrent avec le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Guillaume Margue, qui assistait au transport de la grande statue.
« Et le sous-secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur grimpa en position sur la croupe du cheval de tête dont le flair subtil sut immédiatement reconnaître un homme de la partie.
On put avancer ainsi d’un kilomètre. On marchait au pas, les roues cahotaient lugubrement dans le pavé ».
La chute de Marianne
« En arrivant sur le boulevard, les chevaux au nombre de trente s’arrêtèrent, fourbus, épuisés. Cris, coup de fouets, coups de pieds, injures, rien ne put les décider à faire un pas de plus. »
Les difficultés n’étaient pas terminées. Le poids de la statue fatiguait à n’en plus finir les chevaux. Pourtant, il en restait encore du chemin à parcourir pour rejoindre la place de la République.
Alors on tenta le tout pour le tout.
« On leur alluma du feu sous le ventre. Les chevaux affolés par les brûlures se mirent à ruer et donnèrent un à-coup, tant et si bien que la statue fut ébranlée. »
Une catastrophe suivit, complexifiant toujours plus ce trajet décidemment si difficile.
« Elle chancela sur sa base, oscilla et finalement tomba lourdement en travers de la voie, le corps dans la boue et la tête dans une bouche d’égout. »
« On courut chercher des pinces, des leviers et des grues à vapeur pour relever Marianne. M. Camescasse en personne dirigeait l’opération.
Enfin, sous l’effort des câbles la statue fut redressée sur le chariot, mais les chevaux ne semblaient pas plus disposés à avancer. »
Un renfort macabre
« On chercha du renfort. Il était trois heures du matin. Pas d’omnibus dont on pût réquisitionner l’attelage. Les conducteurs de Marianne se désespéraient. »
Evidemment, à cette heure-là, il n’y avait pas grande monde dans la rue. Pas un cheval possible en renfort.
« Tout à coup, à l’angle d’une rue, on vit déboucher un corbillard vide. Le préfet de police l’arrêta et fit atteler les chevaux de pompes funèbres devant les autres coursiers.
Le cocher du corbillard, avec son tricorne, sa culotte blanche et ses bottes, enfourcha une de ses bêtes, et le cortège s’ébranla de nouveau.
Il y avait alors trente-deux chevaux attelés et conduits par Margue et un croquemort. »
Le journaliste du Conservateur s’en donna ensuite à grande joie dans sa description : « Des passants attardés crurent qu’on enterrait Marianne et ne dissimulèrent pas leur satisfaction. »
Arrivée sur la place de la République
Une fois sur la place de la République, les ouvriers se chargèrent de la hisser sur son piédestal, toute prête pour son inauguration.
Notons pour l’amusement que le Conservateur continue l’histoire avec beaucoup d’emphase.
« Sa figure s’était écrasée, sa branche de laurier était perdue, le lien qui devait se tenir à ses pieds était brisé. On courut chercher le ciseleur pour réparer la trogne de Marianne.
Pendant ce temps, on recherchait la branche de laurier. Mais elle s’était engouffrée dans l’égout lors de la chute et on ne put la retrouver.
Et le lion ? Brisé en mille morceaux. Le temps manquait pour en fondre un autre. Comment le remplacer ?
Le fondeur proposa de mettre à sa place une autre statuette d’animal qui était toute prête dans ses ateliers. C’était en cochon en fonte destiné à être placé sur le portail de l’abattoir de la Villette.
Va pour le cochon, dit Camescass. Cela fera plaisir au Conseil municipal. Nous dirons que c’est un lion laïcisé.
Le coché fut amené et posé aux pieds de Marianne.
Enfin, la statue à peu près complète se dressa sur son piédestal.
Les assistants se reculèrent alors pour juger de l’ensemble, et grande fut leur stupéfaction en voyant le visage restauré par l’artiste.
La Marianne ressemblait absolument à Louise Michel.
Après avoir consulté ses supérieurs, le préfet de police a imaginé un moyen de remédier à cette fâcheuse ressemblance.
Le jour du 14 juillet, la tête de Marianne était cachée dans un sac, et sur le cochon, on avait étendu la peau d’un lion du Jardin des Plantes que l’on avait fait tuer et dépouiller à cet effet. »
Alors bien sûr, cette dernière partie de l’histoire ne correspond pas bien aux autres descriptions que nous trouvons dans la presse de l’époque, ni même dans les représentations de la fête de la grande inauguration. Mais ce trajet fut bien rocambolesque…