L’accident d’un bateau lavoir sur le quai Bourbon
L’accident d’un bateau lavoir sur le quai Bourbon : quand des lavandières se retrouvent prises dans la Seine.
Nous sommes dans l’ambiance de Noël 1909. Toutefois, malgré la pluie persistante et les tempêtes depuis la fin de l’été, les parisiens font mauvaise fortune bon cœur. La Seine est de plus en plus haute.
Aussi, pas surprenant de trouver une certaine activité sur les bords du quai Bourbon, au bord de l’île Saint Louis.
Là, depuis de nombreuses décennies, des bateaux lavoirs sont amarrés sur les quais.
Tout d’un coup le 24 décembre, un d’entre eux coula brutalement.
Envoyé sur place, un journaliste du Petit Journal couvre le fait divers.
Des ouvrières présentes dans le bateau lavoir de bon matin
« Amarré en face du numéro 19 du quai Bourbon, où commencer la rue Le Régratier, le bateau lavoir Le progrès appartenant à M. Guy et géré par les époux Marguerie, est un très vieux bâtiment, connu autrefois sous le nom de Bateau Morel, du nom de son ancienne propriétaire. En aval et en amont s’alignent également d’autres bateaux lavoirs.
Hier matin, à neuf heures et demie, il y avait dans l’atelier des essoreuses, une douzaine de femmes seulement, l’heure n’étant pas tout arrivée où les laveuses sont au grand complet. »
Bref un bateau lavoir pas si jeune que ça, mais exploité avec ses machines.
Description du naufrage
Le journaliste continue son récit :
« Les ouvrières étaient en plein travail, quand tout à coup, avec un fracas assourdissant, la toiture vitrée et les tôles s’abatirent juste au dessus de la caisse où se tenait la patronne du bateau, madame Marguerie.
Celle-ci n’eut que le temps de gagner la passerelle et le quai.
Les autres femmes qui n’avaient pu se rendre compte de la nature de l’accident, étaient restées médusées, quand elles sentirent soudain osciller sous leurs pieds. En même temps un cri retentissait : « Sauve qui peut ! ».
Avec des cris d’effroi, les ouvrières se précipitèrent vers l’escalier conduisant à la passerelle, mais avec la rapidité d’un décor de théâtre, toute la partie du bateau où se trouvaient les trois essoreuses, les cuves, les chaudières et l’appartement de M. et Mme Marguerie, s’enfonça dans l’eau.
Ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, les pauvres femmes sous les débris du bateau amoncelés n’eurent que le temps de gagner la passerelle d’où des mains charitables les aidèrent à monter sur le quai. »
Les sauvetages
Effectivement des occupantes purent fuir vite. Mais ce ne fut pas le cas de tout le monde !
A la rescousse de Justine Fournier
« Une seule d’entre elles, madame Justine Fournier, âgée de 53 ans et demeurant rue Saint Louis en l’île se trouva engagée de telle façon qu’elle ne put suivre le même chemin que ses compagnes.
Précipitée à l’eau, elle eût la présence d’esprit de s’accrocher au montant de l’escalier effondré et d’appeler à son aide. »
On du alors partir à son sauvetage :
« Le garçon de lavoir, Jules, et un marinier, en sautant sur les planches qui flottaient parvinrent jusqu’à la pauvre femme après avoir vingt fois risqué de tomber dans le fleuve.
Ils la placèrent dans une embarcation qui se trouvait à proximité, au grand soulagement de la foule qui assistait au sauvetage du haut du quai et qui avait bien cru un moment, Madame Fournier perdue, tant sa situation était critique. »
Toutefois, elle n’était pas seule en grande difficulté.
M. Marguerie
« Une autre scène angoissante se déroulait au même moment, dans le logement de M. Marguerie, qui ayant passé la nuit à surveiller le lessivage s’était couché au petit jour et dormais encore.
Réveillé en sursaut, M. Marguerie n’eut que le temps de bondir hors de son lit, en chemise. A travers les débris de toute sorte, le corps à moitié dans l’eau, il s’empressa vers un berceau où dormait son petit fils âgé de trois ans et eut la chance de l’emporter, l’arrachant ainsi à une mort certaine. »
Les autres bateaux lavoirs en grand danger
Le bateau en avarie n’était pas seul. D’autres étaient amarrés avec lui.
« L’alarme avait été chaude sur les autres bateaux lavoirs. A bord du bateau Tissier, qui se trouve en aval du bateau de M. Marguerie, les laveuses en entendant les craquements sinistres de l’accident prirent peur et une courte panique eut lieu.
Les employés des bateaux voisins vinrent aider au sauvetage, ainsi qu’à la séparation.
Les pompiers de la rue de Poissy vinrent coopérer à cette dernière besogne et l’on put dégager ainsi complètement la partie du lavoir qui était demeurée intacte.
Pendant ce temps, on s’empressait autour des malheureuses laveuses, qui pour la plupart avaient pris un bain forcé. »
Fin d’un bateau lavoir
Cette catastrophe signifia la fin de ce bateau lavoir !
Le journaliste conclut son article :
«Un accident du même genre avait failli se produire, il y a quelques années, à bord du même bateau. Les essoreuses s’étaient enfoncées subitement. Heureusement, on eut le temps de prendre les mesures nécessaires pour éviter un accident complet.
La partie submergée ne sera pas reconstruite. Par suite de la règlementation de la police fluviale, les bateaux lavoirs condamnés à disparaître, comme gênant la circulation par eau, ne doivent être ni réparés, ni remplacés. »
Sources bibliographiques